Mensuel

Ouverture

Le petit tas d’ordure

[…] je suis passée de nouveau près du petit tas d’ordures. Il était intact. Je me suis arrêtée pour le considérer. Il y avait des gens qui attendaient le bus. Ils m’ont regardée avec dégoût plonger mes mains dans ce tas immonde. J’étais agenouillée à ses côtés. Quand j’ai rencontré le petit tas d’ordures, j’étais au bord des larmes, en réalité. Pour un peu, je me serais assise et j’aurais pleuré [1].

L’ouverture est un lieu de passage. J’emprunte donc ce lieu pour tenter de faire passer une voix littéraire contemporaine, celle de Gaëlle Obiégly.

Il est des petits livres, l’air de rien, qui en disent beaucoup plus que des grands. Sans valeur de Gaëlle Obiégly en fait partie. Écrire sur ce qu’on jette et ce qu’on garde, ce qui a de la valeur ou n’en a pas, peut faire écho à chacun. Que considère-t-on comme un déchet ? Quel usage donner aux objets, dans quel espace et pendant combien de temps ?

Je garde ces choses parce qu’elles me servent ou parce qu’elles symbolisent le temps. Cela n’a de valeur que pour moi, c’est sans valeur donc. Sans valeur pour la société. Pourtant, je crains que l’on s’en empare. Et qu’on transforme cela en archives [2].

Dans une société qui pousse à jouir des objets, Gaëlle Obiégly marque le lecteur et propose un regard autre. C’est l’histoire de la rencontre entre un sujet et un petit tas d’ordures, entre un sujet et un objet. Ce petit tas sans valeur n’est pas sans prix à payer, car recueillir un petit tas d’ordures ne se fait pas sans perte. Le prix se paye de mots et d’affects pour Gaëlle Obiégly.

Quelle est la cause de ce petit tas d’ordures ? C’est une question qui me tourmente depuis le moment où j’ai décidé sa prise en charge […] Cela ressemble à un désastre [3].

Cet écrit est une réflexion sur les objets déchus de leur utilité. Il est question du temps, de l’instant de voir au temps pour comprendre et du moment de conclure. Il s’agit du petit a, donc.

L’écriture de ce court récit n’est pas sans valeur, valeur de l’engagement et de sa langue, singulière donc.

Gaëlle Obiégly écrit pour être écoutée, pas nécessairement pour être comprise, c’est secondaire : « Ce que j’ai à dire est assez compliqué. J’espère me faire comprendre. En même temps, ce n’est pas grave si on ne me comprend pas. Du moment qu’on m’écoute[4] . » Dans ce texte Totalement inconnu, le monde de la narratrice existe à partir de voix. Cette question de la voix est présente dans ses écrits comme est présente celle de la lettre. Cette autrice pratique un usage de la lettre qui n’est pas que du côté du lisible, du signifiant, mais qui est aussi en rapport avec le déchet, a litter.

Continuer à lire les écrits de G. Obiégly, c’est continuer à suivre et à entendre le trajet d’usage de la lettre pour recueillir le petit a.

Alors merci à Gaëlle Obiégly de nous donner à lire et à entendre en jetant ses écrits à la « poubellication ».

Patricia Robert

Ouverture

  • p. 3-4 Ouverture 

Séminaire École
J. Lacan, D’un discours qui ne serait pas du semblant Séance du 17 février 1971

  • p. 6 J. Lacan 
  • p. 7-14 Perdre son latin Isabelle Geneste 
  • p. 15-25 Patrick Barillot 

Paris 2024
XIIe Rendez-vous de l’Internationale des Forums
L’angoisse, comment la faire parler ?

  • p. 28-31 L’angoisse avec les femmes Anna Wojakowska-Skiba 

Journée préparatoire à Millau

  • p. 32-38 Freud et les affects Nadine Galabrun 
  • p. 39-48 L’angoisse de la psychanalyse François Terral 
  • p. 49-58 « Quoi peut se dire ? » Geneviève Faleni 

VIIIe Rencontre d’École
Savoir et ignorance dans le passage à l’analyste

  • p. 59-62 Ouvertures Rebeca García, Glaucia Nagem de Souza, Pedro Pablo Arévalo 

Les énigmes du corps (2/2)

  • p. 63-68 D’un point et de soi attrapés, du point et de soi(e) rattachés Raina Longine Pitoëff 
  • p. 69-75 À corps perdu : l’exil, l’errance Corinne Sutz 
  • p. 76-81 Que devient le corps après l’intelligence artificielle ? Anita Izcovich 

Fragments

  • p. 83-84 Sic 
  • p. 85 Bulletin d’abonnement 



↑1G. Obiégly, Sans valeur, Montrouge, Bayard, 2024, p. 11.

↑2Ibid., p. 29.
↑3Ibid., p. 128.
↑4G. Obiégly, Totalement inconnu, Paris, Christian Bourgois, 2022, p. 7.