Une expérience du contraire 4 : Impressions

(Librement improvisé sur des vers de Valérie Rouzeau)

Je pense aux poètes qui me merveillent la vie
Je pense à Michaux, je pense à Rimbaud
Je pense à Emilia, Sylvia, Marguerite
Je pense à nos belles Nobel : Wislawa , Louise, Annie…
Je pense à René
À ses recherches de la base au sommet
À ses fulgurances, à ses résistances
À l’énigme du désir demeuré désir
À la fureur, au mystère
Je pense au diable au corps
aux tremblements de la vie immédiate
aux fleurs
aux fruits
aux branches
Je pense à Federico, à ses arbres toujours plus verts
Verde, verde, que te quiero ver
Merci à Valérie
À ses merles, renards, flûtes à bec
Merci à sa mécanicienne en bleu parmi les digitales
Merci à ses profiteroles
le temps vole
pigeon vole
Merci à vous, poètes inconnus
A vos bouts de papier griffonnés, ,froissés, raturés
À vos textes inachevés
Merci à vos bouts rimés, à vos papiers collés
À vos balbutiements, vos recommencements
À vos frémissements
à vos embrasements
Merci pour vos printemps
Pour vos silences
vos sucs, vos saveurs
vos brins d’herbe
Merci à vous, kaléidoscopes de mots qui peuplent ma mémoire
Pour l’ortie,l’épine, le silex
Pour le vol indécis des nuages
Pour l’odeur fade du réséda
Pour ta tête, ton geste, ton air

Elisabeth 2024

A contre temps,
Ma vie n’a été faite que de choix contraints, d’obligations et d’obéissance
Et puis un jour le mur, l’incompréhension pour avoir trop persisté à satisfaire l’autre
Stop, mon corps n’en a fait qu’à sa tête, une très douloureuse expérience de l’angoisse
Direction les urgences pour se rassurer, tout allait bien, enfin presque
Urgence de trouver une personne à qui parler de cette insupportable vie
Le hasard de la rencontre et un embarquement sans retour qui s’engage
Un livre conseillé sur « une expérience du contraire »
Sans aucune connaissance ni formation de Lacan à l’analyse, une plongée dans le texte
Un livre de chevet, lu chapitre après chapitre puis dans le désordre
Une recherche éperdue de sens, de compréhension de mes maux de corps qui
m’accompagnent toujours
Pour finir, picoré avant ou après les séances pour apprendre à surnager dans le flot de mes
mots
Voilà, un surprenant livre souvent ouvert qui appelle à être refermé un jour
Merci à toute votre équipe pour cette chaleureuse rencontre

Une expérience du contraire 3 : Des-notes

Une expérience du contraire 2 : Variations

[Table des matières de l’ouvrage de P. Madet]

Une expérience du contraire

L’analyse

Table

Premiers mots 
La matière d’un manque précieux 
Les écrits s’envolent, les paroles restent 
Si par malheur on se comprenait 
Une dicte solitude
Nous aimons ce que nous n’aimons pas 
Étonner l’impuissance 
Une poétique de l’énigme 
Oser l’improvisation, faire avec la suspension du tremblement
Avec quelqu’un pour s’en passer 
Corps et graphie 
Pour un faire satis-faisant 
Un dernier mot ?

[Entrée en matière de la causerie]

A table de la matière d’un manque précieux

Entrez, avec ou sans résistance, entendre ou dire les premiers mots.

Dans une corps et graphie singulière, prenez place et mettez-vous à table d’une poétique de l’énigme avec quelqu’un pour s’en passer.

Comme les écrits s’envolent et les paroles restent, osez l’improvisation d’une rencontre du contraire.

Si par malheur, lors de ce laps de temps, on se comprenait, vous pourriez quitter la table dans une dicte solitude pour un faire satis-faisant et ajoutez ou non, un dernier mot.

Si vous préférez rester, nous vous convions ensuite à la table d’un goûter.

L’expérience du contraire

« L’apriori de l’identique 

Synthèse»

Nappe

Dernier mot

L’absence d’un vide obsolète

Les paroles s’envolent et les écrits restent

Si par bonheur on ne se comprenait pas

Une compagnie addict

Nous n’aimons pas ce que nous aimons

Lisser l’impossible

Un discours de la réponse

Rester dans son coin, n’avancer qu’en certitude

Avec Dieu

Tête et t9

Pour une insatisfaction chronique

Un premier mot !

Traduction de l’expérience

Aux mots translation

Mot-bilier

Premiers mots : « moment ! »

La matière d’un manque précieux : Démodé

Les écrits s’envolent, les paroles restent : Mot courant

Si par malheur on se comprenait : Mot d’amour

Une dicte solitude : les Mots-dits

Nous aimons ce que nous n’aimons pas : Modération

Étonner l’impuissance : Mots bleus

Une poétique de l’énigme : l’émotion

Oser l’improvisation, faire avec la suspension du tremblement : Démo

Avec quelqu’un pour s’en passer : mobilisation

Corps et graphie : mobile et mot-bille

Pour un faire satis-faisant : motivation

Un dernier mot ? Motus

Quatrième de couverture

LA RÉBELLION DES GRABATAIRES

Gaëtan et Gaëtane, deux sémillants nonagénaires, ont décidé de fêter leurs 75 ans de mariage au sein de l’Ehpad « les premiers mots » qui les accueille et qu’ils détestent.

Elle est danseuse-diseuse, il écrit ; ensemble ils sont corps et graphie.

« Et si par malheur on se comprenait ? » dit un jour Gaëtane. Une chorégraphie physico-verbeuse pourrait remplacer cette dicte solitude et étonner notre impuissance.

Ensemble ils décident de métamorphoser le service, pour en faire une étrange salle des fêtes, une poétique de l’énigme.

Ils enferment le personnel soignant après leur avoir administré un laxatif, pour un faire satisfaisant disent-ils. Ah la matière ! Un manque précieux parfois !

Nous aimons ce que nous n’aimons pas ! s’exclame encore Gaëtan, et s’adressant à ses voisins de chambre : « Osons l’improvisation ! Faisons avec la suspension du tremblement !

Et en bonus, ils font appel à Lacan, une rencontre du contrat-rire. Archibald Lacan, le célèbre et désopilant clown des Ehpad, va les aider à faire de ce poussiéreux service un inextricable chambard estudiantin….

A 103 ans, Marcus Sénilus nous offre un premier roman très prometteur. Après une carrière de 80 ans dans la restauration d’objets anciens, cet autodidacte est entré à l’ENA ( École Nationale d’Ancestrologie) dont il est sorti senior de promotion.

Une expérience du contraire 1 : Ouvertures

Ce(ux) qui inspire(nt)

Faisant suite à la causerie avec Philippe Madet du 14 septembre 2024 au Jeu de Paume à Rennes, nous laissons là, quelques créations plurielles et collectives. Des créations en amont, en aval et pendant l’évènement.

Les jours à venir, apparaîtront des notes au nombre de dix-sept qui témoignent de ceux qui ont bien voulu se prêter au jeu d’inscrire, en un ou quelques mots, ce qu’était pour eux l’analyse, faisant là résonner le titre du livre de Philippe Madet : « Une expérience du contraire. L’analyse ».

Aussi, en amont de cet évènement, nous nous sommes nous-mêmes données au jeu de la langue autour de ce texte pour créer dessins et écrits sur ce que nous a inspiré ce livre ; Cette liberté que nous nous sommes données ne saurait que trouver écho avec l’ouvrage de Philippe Madet, car était-ce son ton, son style, le bonhomme ?, n’empêche, qu’il est des rencontres où l’on se sent libre de créer.

Six autres textes seront partagés, certains écrits par nous, d’autres par des connaissances qui ont bien voulu se prêter à ce jeu. Six variations autour de « la table » (des matières) de l’ouvrage.

Un autre texte nous a été « offert » par un participant présent lors de la causerie. Il paraîtra également de manière anonyme, comme le reste, offrant là encore à voir l’effet que produit un livre, une écriture, un auteur, une rencontre.

Peut-être est-ce cela aussi « écrire », donner aux autres l’envie de s’y risquer.

Un Appel

La maison d’édition Les Liens qui Libèrent a publié le dernier essai de Roland Gori : La fabrique de nos servitudes. Dans ce nouvel opus de son appel, Roland Gori reprend son travail d’analyse anthropologique, sociologique et philosophique des discours dominants actuels, en particulier le dit néo-libéral, pour nous en montrer non seulement la redoutable efficacité, mais aussi les limites.

La fabrique des servitudes passe par le contrôle de l’information et de la formation, par la réduction du langage à sa fonction instrumentale de communication, par la dévalorisation de la création artistique, et par l’idéalisation de l’auto-entrepreneur de soi-même. Au service du pouvoir financier, les neurosciences cognitives fabriquent un sujet neuro-économique, éduqué et préparé à la concurrence par les neuro-pédagogues, entraîné à gérer ses émotions et tout ce qui peut faire obstacle sur le chemin glorifié du leader, du winner (évidemment ici, l’importation des termes a toute son importance).

Partant de cet état des lieux plutôt désolant, l’écrit de Roland Gori n’est pas pour autant une invitation à la dépression ou à l’éco-nomico-anxiété, mais bien plutôt une incitation au rêve, à l’utopie et à la résistance. Car les raisons d’espérer sont inhérentes au rapport de l’humain au langage. La disette des mots, l’inadéquation fondamentale du langage au réel nous obligent à inventer, à créer. Et ceci d’autant plus qu’elles sont révélées et soutenues par un discours qui, à l’instar de la psychanalyse, défait les sens établis et dissipe les illusions. Ce discours d’indisciplinarité comme il dit, Roland Gori le construit en faisant appel à son expérience de psychanalyste et d’enseignant, et aussi aux textes de nombreux penseurs du siècle dernier : Walter Benjamin, Gilles Deleuze, Giorgio Agamben, Ludwig Wittgenstein, pour n’en citer que quelques-uns, ou encore de penseurs plus actuels, comme Achille Mbembe, Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau. L’acte de création est acte de résistance pour Deleuze. Qu’il soit artistique, linguistique, poétique ou autre, l’acte de création est au final politique.

C’est ainsi que Roland Gori nous invite au marronnage par l’échappement au rationalisme morbide de la langue utilitaire ; il nous incite à délaisser le pouvoir du langage instrumental pour user de la puissance poétique de la langue ; il nous convie à la grande fête de la créolisation d’une langue toujours bien vivante. Car le vivant d’une langue n’est pas sans effets sur le réel.

Faire le choix d’écrire dans ce qui se passe des formes

De cette lecture de l’ouvrage de Dominique Touchon Fingermann, « La (dé)formation du psychanalyste. Les conditions de l’acte », je fais le choix d’écrire, là, attrapé par du texte. « Quand on écrit, on peut toucher au réel, mais non pas au vrai1».

(Dé)formation présentée sur un trépied freudien : analyse didactique, étude de la théorie et contrôle, Dominique Touchon Fingermann creuse, inscrit là, où il y a de la déformation, sans cesse, et propose de se tenir au travail des effets de production, pas sans Ecole. L’expérience de la cure, l’irréductible restant, les preuves de la passe, se tenir responsable à « n’être enseigné qu’à la mesure de son inconscient2 » (p. 60), trouver lieu et adresse à cette responsabilité et au travail de l’« aberration » (p.80) à se faire semblant d’objet, agent de l’acte… l’auteur convoque au tranchant du réel.

Dominique Touchon Fingermann propose par sa (dé)formation ce qu’il en est du franchissement « du savoir de l’inconscient « au lieu » de la vérité » (p.54) et de ses conséquences. Un « choisir la voie par où prendre la vérité3 », là où de la position de l’inconscient s’opère, « parvenir à faire taire le maître, le professeur, l’hystérique » (p.182). « L’intranquilité » (p.154) confortée d’une lecture, de cette lecture, au plus près de quelque chose, pousse à passe. Les conditions de l’acte sont ainsi entrevues, seuls les effets d’après-coupe en feront sa qualité.

La formation du psychanalyste, l’analyse des analystes, la passe, la psychanalyse et son enseignement, le contrôle et le choix de l’école, l’auteur parcourt du trajet.  A leurre du savoir établi et de ses comités, ce livre est là où la psychanalyse réveille, pas sans se tenir responsable de sa jouissance donc. Face à la paresse du savoir établi, proposition est faite au travail de l’inconscient et de ses effets, une lecture donc qui peut prêter à faire sonner ce qui relève de sa cloche.

Angers, octobre 2019

1 J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 80.

2 J. Lacan, « Allocution sur l’enseignement », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 299.

3 J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 15.

Poésie irakienne : Ali Thareb « Un homme avec une mouche dans la bouche »

Ali Thareb est né en 1988 en Irak, où il a grandi et vit toujours.

« Un homme avec une mouche dans la bouche » est son premier recueil de textes traduit et publié en français depuis peu et qui a obtenu le Prix des Découvreurs.

Poète et performeur, il fait partie d’un collectif de poètes Irakiens, la Milice de la culture. A travers des mises en scène de lecture de textes sur les lieux même du crime (champ de mines, cage de prisonnier, voitures piégées, …), La Milice de la culture vise à dénoncer l’horreur de la guerre et des pratiques de Daesch.

Ces poètes font le choix de rester dans leur pays et d’attraper par les mots un quotidien qui côtoie la mort.

Pour Ali Thareb, l’écriture poétique est vitale :

 « Elle me permet de me sauver et d’essuyer, ne serait-ce qu’un petit peu, le sang qui coule sur ma vie. […] J’essaie constamment d’ouvrir notre mort quotidienne avec toutes ses facettes, sur les limites du mot, le mot qui pousse non pas comme une rose mais comme une balle[1]. »

Recourir aux signifiants pour nommer l’horreur de la mort devenue banalité, n’est pas sans se cogner aux limites du symbolique.

Deux polarités semblent se dégager dans la démarche de ce poète : recourir aux mots pour évider le sang et la violence tout en se confrontant à la violence même du mot : tel une balle, qui file et percute.

L’écriture du poète est ancrée dans le quotidien et traversée de bout en bout par la perte.

« La mort nous menace chaque jour
et jusqu’ici nous n’avons rien commencé
ainsi sommes-nous depuis l’enfance
pas une fois je n’ai vu entre tes mains autre chose
qu’une poupée sans jambes
tu m’auras vu tant de fois
tirant des pierres sur mon cerf-volant
pendu aux câbles électriques
j’aurais tant aimé dessiner des cœurs
avec la buée
quand tu étais face à moi à la maison
une fenêtre nous séparait
mais nos fenêtres n’avaient plus de vitres[2]. »

Quant au titre, percutant, peut-il être éclairé à la lumière des différents poèmes ?

« Un homme avec une mouche dans la bouche ». Comment cette mouche s’est-elle retrouvée là ?

S’agit-il d’un cadavre, bouche béante ? Est-ce un homme qui reste « bouche-bée », sans mots pour nommer ce qu’il voit ? Ou, au contraire, un homme qui en parlant prend le risque qu’une mouche se faufile jusqu’à l’intérieur de l’orifice qui lui permet justement de l’ouvrir ?

« Soudain ta bouche tombe sur la table
tu restes calme sur la chaise
tu touches ta bouche appuies dessus
enfonces deux doigts de la main gauche
traces un cercle avec les gouttes d’eau
échappées du verre renversé
y piques plusieurs fois ta cigarette
à la fin elle ressemble à un insecte mort
tu l’entoures de cercles infinis
avec le sang qui coule de ton visage[3]. »

Dans ce poème, nulle bouche ouverte ou fermée, mais une « bouche » qui chute et du sang. Qu’est-ce que cela met en exergue ? Nulle parole ne peut émerger de ces lèvres rabougries jusqu’à la mortification. Pourtant, le poète trace par ses mots un contour qui borde et épingle quelque chose en creux. Ces « cercles infinis » circonscrivent-ils par le trait l’espace de ce qui ne peut être dit par la parole aérienne ?

Le 23 Avril prochain, Ali Thareb est l’invité de la Maison de la Poésie, avec sa traductrice, Souad Labbize, pour une rencontre autour de ce recueil.

[1] THAREB A., Un homme avec une mouche dans la bouche, Editions des Lisières, Corbières, 2018, 4ème de couverture.
[2] Ibid., p.55.
[3] Ibid., p.37.

Fabrice Caro, « Le discours »

Après l’ovni littéraire Zaï, zaï, zaï, zaï devenu une référence incontournable de la BD humoristique complètement absurde et surréaliste, Fabcaro signe son nouveau roman « Le discours », une épopée quotidienne amoureuse à la fois drôle et touchante.

Si la préface évoque les meilleures comédies romantiques, c’est que l’ouvrage a de quoi faire honneur au classique du genre, la touche de l’artiste en plus. « Le discours » raconte l’histoire d’Adrien, « la quarantaine, déprimé[1] », en pleine rupture amoureuse planté au beau milieu d’un dîner de famille et de son sempiternel gratin dauphinois. L’intrigue commence alors que son beau-frère (le mari de sa sœur) lui demande de faire le discours de leur mariage. Adrien, lui, n’attend qu’une chose : une réponse de son ex au message qu’il vient de lui envoyer.

A travers l’histoire de cet homme ordinaire, Fabrice Caro nous plonge avec humour et sensibilité dans les méandres affectifs de la rupture amoureuse : le manque, l’attente, l’espoir, la colère, le désespoir, le souvenir, l’amertume. Dans l’abord, rien de triste, bien au contraire. Fabrice Caro dépose un baume hilarant et affectueux sur les problématiques universelles du cœur amoureux. L’identification opère et le lecteur rit aux éclats, dans cet « itinéraire sentimentale[2] » qui navigue entre sensibilité et émotion.

Derrière la légèreté du style, l’écriture dévoile une maîtrise de la construction scénaristique et un rythme dans la blague qui fait mouche à chaque fois. Dès les premiers mots, la réplique embarque le lecteur dans un dialogue intérieur irrésistible, animé par un sens de la répartie bien aiguisé. Et, chaque chapitre révèle la chute d’une boucle humoristique pleine de subtilité.

Celles et ceux qui connaissent ce dessinateur de BD savent que parmi les thèmes de prédilection de Fabrice Caro, le couple et l’amour à l’épreuve du quotidien occupe une place de choix (lire, entre autre, « Moins qu’hier (plus que demain) » paru en 2018). Cet observateur décortique l’âme humaine en laissant tremper sa plume dans la matière du quotidien pour en révéler l’incohérence, le paradoxe, l’absurdité au travers d’un cynisme adouci par une sorte de compassion pour l’échec humain. Sans doute le résultat de son « rapport « positif à la mélancolie[3] ».

Dans cette comédie littéraire, Fabrice Caro se charge d’ironiser la perfection pour notre plus grand plaisir vengeur, comme dans ce portrait jubilatoire du « beau brun ténébreux[4] » digne du personnage du «  blond » du célèbre humoriste (Gad Elmaleh, pour ne pas le citer) :

« Il avait attrapé une guitare qui traînait dans le salon, comme ça, nonchalamment, s’était accroupi dans un coin et avait commencé à égrainer quelques accords mineurs, de ceux qui pénètrent le cœur sans sommation, on n’a pas le droit d’enchaîner un la mineur et un ré mineur dans une soirée où les filles sont accompagnées de leur conjoint, c’est formellement interdit par les accords de Genève, on ne peut pas. (…)».[5]

Fabrice Caro nous offre une vision qui égratigne l’idéal de l’amour avec tact et finesse comique, en montrant les aspérités humaines avec tendresse et dérision. L’approche a de quoi faire écho à la psychanalyse dans la prise en compte de la dimension du symptôme et du ratage dans le rapport à l’Autre avec une certaine distanciation.

Il s’agirait donc d’entrevoir l’humour comme un art qui sublime l’impossible du non-rapport sexuel, distançant le réel grâce au décalage comique. Son éthique se situe du côté du traitement du symptôme. Loin de vouloir le dénier, il s’y confronte pour en faire un objet dont on peut rire. « L’humour ne se résigne pas, il défie », disait Freud.

Enfin, Fabrice Caro réserve quelques clins d’oeil réjouissants à la psychanalyse. On savoure ses interprétations « à la Freud » ou « à la Lacan », au choix, comme ce rêve des gambas et « du bol de vermicelles (…) essentiellement constitué de bouillon, les vermicelles y étant assez rares[6] ».

Photo Nanda Gonzague pour Libération

[1] Caro F., Le discours,  Editions Gallimard, 2018, Préface.
[2] Ibidem.
[3] Propos de Fabrice Caro extraits lors de l’émission « Remède à la mélancolie » du 4 mars 2018 menée par Eva Bester sur la radio « France Inter ».
[4] Caro F., Le discoursop. cit., p. 53.
[5] Ibid., p 52.
[6] Ibid., p. 88.

Reflets de notre époque

Il n’est pas étonnant que Michel Houellebecq se réfère souvent à Balzac, puisque comme lui, il met en scène des personnages qui nous touchent par leur contemporanéité. Le narrateur et personnage central de son dernier roman Sérotonine[1] – vendu à plus de quatre vingt dix mille exemplaires, dès sa parution – en est une nouvelle illustration.

Florent-Claude, – qui déteste, entre bien d’autres choses, son prénom – est un dépressif chronique, addicte à ce petit comprimé blanc, ovale, sécable, nommé Captorix, qui augmente la sécrétion de sérotonine. Le seul inconvénient de cet antidépressif nouvelle génération c’est qu’il s’accompagne souvent de nausées et de la disparition de la libido. Le narrateur avoue d’emblée qu’il n’a jamais souffert de nausées. Par contre il semble s’accommoder, tant bien que mal, de son impuissance.

Le roman commence par la fuite du narrateur. Il quitte son boulot qu’il n’affectionne pas particulièrement, en inventant un mot d’excuse. Il quitte également sa copine japonaise, devenue « une araignée piqueuse et venimeuse », mais là, sans le moindre mot d‘explication. La parole, dit-il, crée la division et la haine. La suite du roman rend compte des divagations du narrateur, qui revisite des lieux lui évoquant ses ex-partenaires avec qui, avoue-t-il, il a connu le bonheur, lorsque son organe ne subissait pas encore les effets secondaires du Captorix. Le point commun de ces moments de bonheur c’est les ruptures dont il s’avoue le responsable, voire le coupable. Est-il, dans son errance, à la recherche du bonheur perdu ? On pourrait le croire, puisqu’il  envisage par moments la possibilité de renouer avec l’une de ses ex-partenaires. Mais le courage lui manque et c’est le farniente dépressif qui l’emporte. Un farniente où il se vautre aussi mélancoliquement que nostalgiquement, mais qui est peut-être moins insupportable que le risque qu’il y aurait à renouer des relations avec ces êtres de l’autre sexe, aussi attirant que déroutant. L’amour, recouvrant, dit-il, « chez l’homme et chez la femme, deux réalités radicalement différentes ».

Sa déroute solitaire lui pèse, certes, mais elle ne va pas sans un certain confort, et elle n’est pas totalement dépourvue de certains plaisirs solitaires : la masturbation (sans trop d’effets, semble-t-il), mais aussi la boisson, la cigarette et la bonne bouffe. Il parle à un moment de « régression au stade oral », tout en ajoutant « pour le dire dans les termes du guignol autrichien ». L’admiration que Houellebecq voue à ce guignol de Freud est connue depuis longtemps. Cette régression concernerait, non seulement son cas particulier, mais la France et peut–être l’Occident tout entier, dit le narrateur. La prolifération actuelle de symptômes boulimiques ou anorexiques et des différentes addictions, semblent lui donner raison et ce en quoi ce narrateur « solitaire » reflète un aspect de notre monde contemporain.

Mais Florent-Claude ne s’en tient pas à la description de ses jouissances solitaires et de sa dépression, autre fléau du siècle. Ingénieur agronome (tout comme Houellebecq lui-même), il évoque fort lucidement la difficulté des agriculteurs à faire face à l’ultra-libéralisme capitaliste. Ils auraient presque pu être habillés avec des  gilets jaunes. Or, si Florent-Claude est touché par l’impuissance et le désespoir de ces travailleurs de la terre et de ces éleveurs d’animaux, il ne se sent pas non plus le courage de se battre à leur côté. Il est trop désespéré lui-même. Il conseille même à Ayméric – le seul homme pour qui il a éprouvé de l’amitié – de renoncer à se battre pour une cause qu’il estime perdue d’avance.

Le découragement, la fuite, le désespoir et la mélancolie du narrateur s’accompagnent d’un certain humour aussi lucide, qu’acide et ironique, trash même parfois. C’est probablement ces traits, si caractéristiques des personnages de Houellebecq, qui font de celui-ci un auteur polémique, aussi admiré que honni.

Ce qui  rend ses personnages si attachants pour les uns et si horripilants pour d‘autres, c’est que, non seulement ils reflètent les difficultés sociales et individuelles de notre époque, mais qu’ils ne croient plus en rien. Pour eux, les « lendemains qui chantent », entonnés hier avec enthousiasme, sont devenus un « aujourd’hui desenchanté ». Aucune récupération politique possible à ce désenchantement, puisqu’aux difficultés collectives – plus ou moins définissables – s’entremêle un désespoir individuel, beaucoup plus indéfinissable. Ce dernier est en partie une conséquence du premier, mais en partie seulement. Ainsi, son ami Aymeric, cet aristocrate ayant épousé la cause des paysans, est non seulement désespéré par la difficulté à soutenir cette cause, mais par les déconvenues de sa vie de couple. Difficile de démêler lequel de ces deux désespoirs l’a mené à son acte final. Houellebecq, d’ailleurs, ne s’attèle pas à l’expliquer. Tout comme il ne s’embarrasse pas à trouver une explication à ses ruptures avec des femmes, qu’il aimait pourtant. La psychologie n’est pas sa tasse de thé, quoiqu’il donne une version fort intéressante de la différence des sexes. Il n’est pas non plus un idéologue, quoiqu’il n’est pas dépourvu d’idées. Il ne se veut qu’un conteur, à qui on ne la raconte pas. Un conteur agnostique donc.

Quoi ajouter à l’estime qu’on éprouve pour ce conteur de grand talent, sinon qu’en ce qui concerne le mal-être du sujet, la psychanalyse – aussi peu appréciée qu’elle soit par ce conteur – a bien sa carte à jouer.

[1] Michel HOUELLEBECQ, Sérotonine, Paris, Flammarion, 352p., EAN : 9782081471757, ISBN : 9782081471757.