Petite réaction à la lecture du poème d’Isabelle Cros…

« Le discours rompt π » conclut le poème d’Isabelle Cros
Surprise !
N’est-ce pas le nombre transcendant
Qui suspend le discours
L’épuise, le tarit
Faute de pouvoir le dire ?
A vouloir pousser à bout
Ce pi que nulle langue ne sait traire
Le langage trouve sa butée.
Réelle.
Car il fait rapport lui,
Ce π,
De tous temps
Dans le monde parfait
De la géométrie euclidienne
Où le parlant doit se contorsionner pour trouver où loger.
« Rapport de la circonférence du cercle à son diamètre »
dit le dictionnaire
Ce grand autre portable qui se promet de répondre
Mais ne sort pas de ses pages.
Il le dit même irrationnel,
Et c’est de l’être probablement,
qu’il n’a de cesse,
Ce π,
d’échapper au sens
refusant à s’y laisser happer
de s’y trouver réduit
de se faire prendre par une langue
qui n’est pas la sienne,
Cette langue trompeuse
Qui condamne ceux qui en sont marqués
Ceux qui ont cédé à son appel,
à l’errance insignifiante
qui est le lot des sans-noms
courants derrière ce pi obscène
dans sa complétude
Comme après une image π-euse.

Pascal Garrioux

Lacan : pour ce que j’en lis

Séminaire XIX : … Ou pire

Leçon 1

Puisque pire m’est toujours possible

Lorsque s’opaque le sens

Je m’en vais précieuse et canaille

Dans le vaste chant du monde

Mon verbe en lieu d’éventail percé 

Chasser au pas cité du Tout

Les ballons qui stellent mon ciel d’enfance

Disjointe à m’en écarteler

Me voici lettre parlante en x

Au centre du chas à sertir du Réel

Où il pénètre et passe

… Ou pire

Nulle vérité ailleurs qu’en le verbe évidé 

De la faille irréelle où je me tiens

Jaillit la dysphorie du rien d’après-langage

Où se forclot le mien discours

Qui s’empire de jouir en dire

Sans rompre en corps

Retiens-toi mon très cher

Au vertige élidé de la ponctuation

S’il n’y a pas de rapport sexuel

Et si la vérité ne peut que se mi-dire

Tout m’en ira de mal en jouir

Tandis qu’au pont de mon navire

Ta petite différence me pousse jusqu’au ventre

Mad machine que tu démontes à grands coups

Frappés au cœur du vide

Ça débraye 

Le Réel passe tout entier

Dans le ça qui me (t)roue jusqu’à la bêtise

D’un vain recommencement

Je mendie la vérité légère

Qui insiste quand θεό rit

Mais ma nasse trouée n’attrape

Ni homard ni sirène

Hormis les font-semblants

La langue châtre

Fait trou presque pas-Tout

Sinon quand ma jouissance sonore

Force l’excès au mot 

Il a fallu ce pire dont nul ne vient à bout

Moi moins encore tant enchaînée au(x) sens

Mais enchantée d’em-puter hourra le signifiant fallot

En balbutiant le discours de l’amour

Peut-être oui que bandée jusqu’aux yeux

Je jouirai dans l’absence

Qu’un supposé sachant serine

Tout de travers dans ses silences

Où mes drames palissent 

Je débrouille les liaisons en lignes de fuite 

Tandis qu’Un formule insistant

Une toute neuve logique pour appréhender le Réel

Mais tourner sept fois ma lalangue dans ta bouche

Laisse encore la faille indicible

Mon navire trouve toujours son cap au pire

À l’horizon inaccessible du langage

Qui garde homoizune fonction

En jouir ça va sans pire

S’il y a de l’Un sous le fagot

Qu’on le mette à feu et à sens

Qu’on y mette le feu à l’essence 

En restera ce pis-aller comme évidence

Qu’existe quelque chose

Hors de la portée des mots dits 

Intenable existence où tu ne peux ne pas 

Impuissance salée de la mer sémantique 

S’il faut tenter de vivre

Ailleurs qu’aux frontispices

Où sinon d’amourette à un autre

Haubane donc ma boucle dénouée corde qui danse

Fixe le point à l’envers de tout conte

De toute contingence

Là au profond où s’expériencent

Nos deux corps en discord

Tu me fis et me défais réelle 

Jusqu’au point du non-sens

Où le discours rompt π

Isabelle Cros

Le pire comme cap

Cap à suivre pour être sûr, peut-être, de ne pas se fourvoyer. De ne pas céder à quelques sirènes dont les appâts s’avéreraient ne pas correspondre au descriptif. Avec le pire pas de risque de ce côté là ! On a entendu parler de plus blanc que blanc, mais pire que pire, cela reste à inventer. Le pire c’est du solide, ça s’apparenterait presque à de la certitude si ce n’était pas si loin. Une sorte de paradis perdu à l’envers où l’on serait assuré d’être au plus bas, de ne rien pouvoir attendre d’autre et de mériter la compassion et la pitié qui peuvent nous être adressées. Un Éden victimaire.

Il faut dire que le pire – forme superlative – ne laisse pas beaucoup de place au reste. Cela fait même un peu butée, impasse. Une fois là, rendu au pire, pas facile d’aller plus loin, de poursuivre dans cette voie, et il faut généralement se résoudre, malgré la ténacité dont on a bien voulu faire preuve, à rebrousser chemin et à viser sinon le meilleur, du moins le mieux, le moins pire. Ça, c’est l’échec du pire : on en rêvait et cela s’avère hors de portée. Même là, ça rate.

Rater le pire ! Il faut la constance, la détermination d’un Beckett pour conserver ce cap, pour ne rien lâcher et persévérer 55 pages durant – c’est écrit gros je vous le concède – dans cette direction pour le moins aride. Mais il faut croire qu’il y a trouvé une certaine satisfaction, Sam, comme les spectateurs qui ont pu voir ce texte « joué » – je mets entre guillemets car ce terme mériterait d’être questionné dans ce contexte – en Avignon par Denis Lavant en 2017 (la Covid n’avait pas encore frappé, nous ne savions pas alors quel pire nous attendait). Dans notre vocabulaire on dirait jouissance, jouissance du pire, une espèce de fascination qui saisit et transporte face à l’inimaginable, face à un objet que la raison pousse à refermer, à refuser mais auquel on cède, pris par sa prosodie étrange. Sous le charme : le vers est dans le fruit, ça ne rime pas, ça semble même ne rimer à rien, mais la répétition fait son effet, elle embarque les imprudents qui sont dès lors condamnés à aller au bout, à continuer, à boire jusqu’à la lie dans l’espoir, non pas d’une « happy end », ce n’est pas le genre de la maison – mais au moins d’une éclaircie ou d’une entourloupe, d’une cabriole qui viendrait faire conclusion : offrir une respiration. Mais non, aucun relâchement, aucune concession : le pire, c’est le pire !

J’arrête là pour ne pas vous plomber la journée mais quitte à jouer au pire, je vais quand même vous divulgacher la fin : ça ne se termine pas bien… (mais avec ce titre, vous pouviez vous y attendre)

Cap au pire de Samuel Beckett – 9€50 dans toutes les bonnes librairies

Pascal Garrioux

Beckett : Peintre de l’écrit-vain

Je me saisis du thème proposé, « le pire » ; avec pour sous-titre, que le pire, dans la cure analytique, n’est pas sans lien avec la condition de « rebut » du parlêtre.

Je m’en saisis par un retour à un texte de Samuel Beckett, « Cap au pire » de 1982.

Plusieurs raisons à ce choix.

D’une part, Beckett manie cette matière du rebut à travers tout un travail autour de /et/ avec la lettre. « Beckett… ne laisse pas le rebut au rebut [écrit Bruno Geneste]. Il lui donne existence d’entre les hommes, il en fait le signe irréductible de l’humanité d’un être parlant[1] ».

Par ailleurs, Michel Bousseyroux qualifie le « Lacan du poème signé Là-quand » comme étant « un beckettien post-joycien[2] ». Mais qu’est-ce qu’être « beckettien » à l’aune de la psychanalyse ?

Puis, le titre « Cap au pire », est devenu me semble-t-il, la métaphore d’une certaine orientation de la cure.

Retour à ce texte littéraire, donc. Qu’en est-il ?

Ecrit en anglais, la seule traduction française qui existe est posthume.

 « Encore. Dire encore. Soit dit encore. Tant mal que pis encore. Jusqu’à plus mèche encore. Soit dit plus mèche encore[3] ».

« Il est debout. Quoi ? Oui. Le dire debout. Forcé à la fin à se mettre et tenir debout[4] ».

« Essayer encore. Rater encore. Rater mieux[5] ».

Samuel Beckett parlait peu de son œuvre.

Mais en 1937, dans une lettre à Axel Kaun il évoque ce qui constitue pour lui la « plus noble ambition » d’un écrivain de son temps, à savoir « malmener » le langage[6].

 « Y creuser un trou après l’autre jusqu’au moment où ce qui se cache derrière, que ce soit quelque chose ou rien, commencera à suinter[7] ».

Il y maudit la « matérialité » des mots, bruyante : « dans la forêt des symboles, les oiseaux de l’interprétation, qui n’est pas une interprétation, ne se taisent jamais[8] ».

Contrairement à la musique et à la peinture où le « silence » lui semble possible.

Dans « Cap au pire », Samuel Beckett réussit « Tant mal que pis encore[9] » à rendre silencieux les « oiseaux de l’interprétation ».

En effet, se raccrocher au sens est vain dans ce texte.

Nul scénario bien ou mal ficelé.

La matière du mot se fait plutôt peinture, pour dessiner en creux quelques images.

Hélène Lefevre-Benrebbah


[1]  GENESTE B., Beckett avec Lacan : l’humus humain et le plus humain, in « Mensuel » n°143, juin 2020, p.28.

[2] BOUSSEYROUX M., Penser la psychanalyse avec Lacan : Marcher droit sur un cheveu, Villematier, Editions Erès, 2016, p.174.

[3] BECKETT S., Cap au pire, Normandie, Les éditions de minuit, 2018, p.7.

[4] Ibid., p.9.

[5] Ibid., p.8.

[6] BECKETT S., Lettres I :1929-1940, Editions Gallimard, 2014, p.563.

[7] Ibid, p.563.

[8] Ibid, p.563.

[9] BECKETT S., Cap au pire, op.cit., p.7.

Des nouvelles d’Hamlet

Elle n’est pas tout à fait nouvelle, mais la version d’Hamlet de Peter Brook (2001) nous a été présentée par Muriel Mosconi ce 23 janvier dans le cadre du collège de clinique psychanalytique du sud-est. On se rappelle la version un peu morne et inhabitée, presque mélancolique, de Franco Zeffirelli (1990), et celle plus en relief, baroque et emphatique, plutôt histrionique, de Kenneth Branagh (1996). Peter Brook a fait le choix d’une mise en scène épurée, où l’accessoire est déplacé pour dégager l’essence de la pièce. Les déplacements d’époque, de cultures, de couleurs de peau, de décors, soulignent l’intemporalité du récit. Servi par un jeu d’acteurs sobre mais consistant, le texte est raccourci par les coupes du metteur en scène, dépouillé de ses supposées digressions pour ne conserver qu’une articulation minimale du mythe d’Hamlet. Il en ressort une pièce courte, dynamique, passionnée et passionnante. Comme l’indiquait Muriel Mosconi dans son commentaire, le clinicien curieux (pléonasme ?) gagnera à enrichir le spectacle de la lecture du commentaire de Freud dans la Traumdeutung1 et des sept chapitres de son séminaire (livre VI) consacrés par Lacan à l’élucidation de ce mythe, dans son rapport au désir. En réponse au clin d’œil du comité de la rubrique, il n’est pas inintéressant d’interroger l’horreur de savoir d’Hamlet, le « pire » de ce personnage – rappelons-le au passage – de fiction. On en distingue plusieurs niveaux : celle que Shakespeare met en avant au premier plan, l’horreur pour Hamlet de savoir que son père a été assassiné, qui recouvre, à suivre Freud, celle de savoir qu’il eût voulu être l’assassin. Meurtre dont il ne se prive d’ailleurs pas dans le verbe : « The king is a thing […] of nothing2. » Mais l’horreur qui semble mener Hamlet du début à la fin est plutôt celle du commandement de vengeance qu’implique le dévoilement du meurtre, le mettant en demeure de se faire le bras vengeur du roi, commandement auquel il tente de se dérober jusqu’à la fin, au risque de la déréliction.
Et pour creuser encore un peu un sillon qui m’intéresse, il y a là, me semble-t-il, une des façons d’attraper la différence entre Œdipe et Hamlet, que Freud considère comme la marque du progrès du refoulement « dans la vie affective de l’humanité ». Là où Œdipe passe à l’acte, Hamlet act out. Là où Œdipe éjecte l’objet de la scène, Hamlet du début à la fin remet sans cesse l’objet sur scène. Et ce, jusqu’à sa dernière parole : « The rest is silence3. »

Francis Le Port

1 FREUD S., L’interprétation des rêves, Paris, PUF, 1967, p.230.
2 SHAKESPEARE W., Hamlet, (bilingue), Lambersart, Editions Vasseur, 2013, act IV – scene II, p.83.
3 Ibid., act V – scene II, p.125.

Le pire

« … Nous vous lancerons (donc) de temps en temps un « truc », tel « un pavé dans la mare1 », en prenant le risque du « flop », mais aussi à partir d’un effet de vague, du rebond-dire des uns et des autres2 ».

Alors allons-y. Le pire sera le thème de la première proposition, le pire, soit ce qui peut arriver de mieux en fin de compte lors d’une psychanalyse. Je cite Colette Soler lors de son cours du 2 décembre 2020 : « il y a bien une horreur de savoir quand ce qu’il y a à savoir c’est le pire et ça génère le recul du sujet. Le sujet à la fin il acceptera donc de savoir. Accepter de savoir, oui, mais quoi ? Accepter de savoir c’est pas un désir de savoir. Accepter, bon, on s’y fait. Mais quoi ? Lacan nous dit : qu’il est un rebut ». Est-ce que cela vous Un-ce-Pire ?

En janvier, il est d’usage de présenter ses vœux, nous vous souhaitons donc le pire, avec ses effets, une fois extrait…

Cédric Bécavin

1 « La métaphore et la métonymie (…) donnaient le principe dont j’engendrais le dynamisme de l’inconscient. La condition en est ce que j’ai dit de la barre saussurienne (…) comme ce qu’elle est pour Saussure, faire bord réel, soit à sauter, du signifiant qui flotte au signifié qui flue. C’est ce qu’opère la métaphore, laquelle obtient un effet de sens (non pas de signification) d’un signifiant qui fait pavé dans la mare du signifié », LACAN J., Radiophonie, Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 416.

2 cf édito de la rubrique Coup d’Oeil

Adolescentes

Il faut voir ADOLESCENTES[1], de Sébastien Lifshitz. Pendant cinq années, le réalisateur a filmé dans leur quotidien intime, par périodes de plusieurs semaines, deux adolescentes, évidemment lambdas, évidemment singulières. Avec une bienveillance subtile, de plans larges en gros plans, de clair en obscur, de non-dits en corps parlants, le documentariste dévoile les contrastes. Contrastes entre les deux filles, bien sûr, qui mènent, comme elles peuvent, leur corps vivant dans des histoires sociales et familiales tellement différentes. Mais contrastes de chacune en elle-même, aussi. Dans une oscillation entre volubilité bavarde et lourd silence, les deux jeunes filles semblent rejouer un Fort-Da qui interroge sans cesse, me semble-t-il, leur propre présence-absence au monde (celui des adultes), dans une tentative déterminée, acharnée, de symbolisation d’elles-mêmes. Lacan appelait « symbole pur[2] » le + et le – : à défaut de signifiants pour faire sens, les filles bordent l’angoisse et la jouissance par du plus, du moins, du chiffre : l’âge, les notes, le classement des garçons par ordre de beauté, le bac… Sébastien Lifshitz met en image l’adolescence comme un temps de réel où les mots – don nécessairement défaillant tant attendu de l’Autre, en particulier parental – manquent, ou embarquent (« tu me saoules ! »). Le film révèle de manière saisissante la dimension nécessaire du langage, pour que chacun.e puisse (re)prendre place dans la chaîne signifiante, dans le monde. Une place désignée par un désir singulier, étrange( r ), et non plus assignée par le désir d’un autre.

Anne-Claire Lucas


[1] sorti en salle le 9 septembre 2020. Et puis il faudra voir ou revoir, aussi, l’indispensable BOYHOOD, de Richard Linklater. À l’inverse, il s’agit d’une fiction filmée comme un documentaire, suivant pendant une douzaine d’années un jeune garçon qui devient un homme. Les enjeux subjectifs y sont bien de même nature…

[2] Jacques LACAN, Le séminaire, Livre IV, « La relation d’objet », coll. Champ freudien, Seuil, Paris 1994, p. 131

Monstres et Cie

Cet été, et jusqu’au 13 septembre 2020, le musée d’Orsay nous propose un voyage « Au pays des monstres » pour découvrir les différentes sculptures et dessins créés par Léopold Chauveau (1870-1940).

Au fil de la visite et des rencontres avec ses créations, la vie de l’artiste se révèle. Ayant réalisé des études de médecine, puis exerçant comme chirurgien, sa passion pour l’univers fantastique, imaginaire et sa soif de création n’ont jamais cessé.

En naviguant entre tous ces monstres, il est surprenant d’observer combien certains des objets de la pulsion y prennent une place considérable. Et d’ailleurs, si on lève les yeux au ciel on constate que, pour décorer la pièce, des yeux pendent du plafond, presque en orbite, suspendus, droits sur nous.

A l’occasion, les adultes se prêtent à un jeu proposé aux enfants pendant la visite sur une tablette tactile, à savoir « dessine ton monstre ». Les monstres dessinés sont ensuite projetés sur l’un des murs de la salle d’exposition parmi les autres. Que de figures multiples et effrayantes où chaque monstre a son trait, sa particularité qui le définit comme tel. Une bouche ensanglantée, des yeux exorbités, un corps difforme, éclaté, modifié. Faire dessiner les dits adultes et entrevoir quelle serait leur figure du monstrueux.
C’est un jeu pour les enfants auxquels les adultes font mine de jouer car c’est bien connu, les petits seraient les seuls à avoir peur des monstres, ils demandent de regarder sous le lit, dans le placard, derrière l’armoire. Mais alors quand est-ce que ça s’arrête ? Où regarde t-on après ?
Au-dehors de la chambre ?

Les récits que l’on peut lire tout au long de notre promenade, content comment ce créateur voulait inventer des monstres imaginaires qui s’avéraient moins effrayants (voire sympathiques) que ceux du monde extérieur. Le visage, le corps révèlent-ils les monstres ? Qui sont les monstres ?
Médecin ayant aidé les blessés de la guerre 14-18, Léopold Chauveau s’engagera contre le fascisme dans cet entre deux guerres et s’éteindra en 1940 à la veille de la seconde guerre mondiale. Une époque qui mettra la lumière sur d’autres monstres, eux, bien réels.

Faire le choix d’écrire dans ce qui se passe des formes

De cette lecture de l’ouvrage de Dominique Touchon Fingermann, « La (dé)formation du psychanalyste. Les conditions de l’acte », je fais le choix d’écrire, là, attrapé par du texte. « Quand on écrit, on peut toucher au réel, mais non pas au vrai1».

(Dé)formation présentée sur un trépied freudien : analyse didactique, étude de la théorie et contrôle, Dominique Touchon Fingermann creuse, inscrit là, où il y a de la déformation, sans cesse, et propose de se tenir au travail des effets de production, pas sans Ecole. L’expérience de la cure, l’irréductible restant, les preuves de la passe, se tenir responsable à « n’être enseigné qu’à la mesure de son inconscient2 » (p. 60), trouver lieu et adresse à cette responsabilité et au travail de l’« aberration » (p.80) à se faire semblant d’objet, agent de l’acte… l’auteur convoque au tranchant du réel.

Dominique Touchon Fingermann propose par sa (dé)formation ce qu’il en est du franchissement « du savoir de l’inconscient « au lieu » de la vérité » (p.54) et de ses conséquences. Un « choisir la voie par où prendre la vérité3 », là où de la position de l’inconscient s’opère, « parvenir à faire taire le maître, le professeur, l’hystérique » (p.182). « L’intranquilité » (p.154) confortée d’une lecture, de cette lecture, au plus près de quelque chose, pousse à passe. Les conditions de l’acte sont ainsi entrevues, seuls les effets d’après-coupe en feront sa qualité.

La formation du psychanalyste, l’analyse des analystes, la passe, la psychanalyse et son enseignement, le contrôle et le choix de l’école, l’auteur parcourt du trajet.  A leurre du savoir établi et de ses comités, ce livre est là où la psychanalyse réveille, pas sans se tenir responsable de sa jouissance donc. Face à la paresse du savoir établi, proposition est faite au travail de l’inconscient et de ses effets, une lecture donc qui peut prêter à faire sonner ce qui relève de sa cloche.

Angers, octobre 2019

1 J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 80.

2 J. Lacan, « Allocution sur l’enseignement », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 299.

3 J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 15.