(Librement improvisé sur des vers de Valérie Rouzeau)
Je pense aux poètes qui me merveillent la vie Je pense à Michaux, je pense à Rimbaud Je pense à Emilia, Sylvia, Marguerite Je pense à nos belles Nobel : Wislawa , Louise, Annie… Je pense à René À ses recherches de la base au sommet À ses fulgurances, à ses résistances À l’énigme du désir demeuré désir À la fureur, au mystère Je pense au diable au corps aux tremblements de la vie immédiate aux fleurs aux fruits aux branches Je pense à Federico, à ses arbres toujours plus verts Verde, verde, que te quiero ver Merci à Valérie À ses merles, renards, flûtes à bec Merci à sa mécanicienne en bleu parmi les digitales Merci à ses profiteroles le temps vole pigeon vole Merci à vous, poètes inconnus A vos bouts de papier griffonnés, ,froissés, raturés À vos textes inachevés Merci à vos bouts rimés, à vos papiers collés À vos balbutiements, vos recommencements À vos frémissements à vos embrasements Merci pour vos printemps Pour vos silences vos sucs, vos saveurs vos brins d’herbe Merci à vous, kaléidoscopes de mots qui peuplent ma mémoire Pour l’ortie,l’épine, le silex Pour le vol indécis des nuages Pour l’odeur fade du réséda Pour ta tête, ton geste, ton air
Elisabeth 2024
Quelque chose ne tourne pas rond, ça cloche, Décalons le regard
Quelque chose ne tourne pas rond, ça cloche, Décalons le regard
Quelque chose ne tourne pas rond, ça cloche, Décalons le regard
A contre temps, Ma vie n’a été faite que de choix contraints, d’obligations et d’obéissance Et puis un jour le mur, l’incompréhension pour avoir trop persisté à satisfaire l’autre Stop, mon corps n’en a fait qu’à sa tête, une très douloureuse expérience de l’angoisse Direction les urgences pour se rassurer, tout allait bien, enfin presque Urgence de trouver une personne à qui parler de cette insupportable vie Le hasard de la rencontre et un embarquement sans retour qui s’engage Un livre conseillé sur « une expérience du contraire » Sans aucune connaissance ni formation de Lacan à l’analyse, une plongée dans le texte Un livre de chevet, lu chapitre après chapitre puis dans le désordre Une recherche éperdue de sens, de compréhension de mes maux de corps qui m’accompagnent toujours Pour finir, picoré avant ou après les séances pour apprendre à surnager dans le flot de mes mots Voilà, un surprenant livre souvent ouvert qui appelle à être refermé un jour Merci à toute votre équipe pour cette chaleureuse rencontre
Premiers mots La matière d’un manque précieux Les écrits s’envolent, les paroles restent Si par malheur on se comprenait Une dicte solitude Nous aimons ce que nous n’aimons pas Étonner l’impuissance Une poétique de l’énigme Oser l’improvisation, faire avec la suspension du tremblement Avec quelqu’un pour s’en passer Corps et graphie Pour un faire satis-faisant Un dernier mot ?
[Entrée en matière de la causerie]
A table de la matière d’un manque précieux
Entrez, avec ou sans résistance, entendre ou dire les premiers mots.
Dans une corps et graphie singulière, prenez place et mettez-vous à table d’une poétique de l’énigmeavec quelqu’un pour s’en passer.
Comme les écrits s’envolent et les paroles restent, osez l’improvisation d’une rencontre du contraire.
Si par malheur, lors de ce laps de temps, on se comprenait, vous pourriez quitter la table dans une dicte solitudepour un faire satis-faisant et ajoutez ou non, un dernier mot.
Si vous préférez rester, nous vous convions ensuite à la table d’un goûter.
L’expérience du contraire
« L’apriori de l’identique
Synthèse»
Nappe
Dernier mot
L’absence d’un vide obsolète
Les paroles s’envolent et les écrits restent
Si par bonheur on ne se comprenait pas
Une compagnie addict
Nous n’aimons pas ce que nous aimons
Lisser l’impossible
Un discours de la réponse
Rester dans son coin, n’avancer qu’en certitude
Avec Dieu
Tête et t9
Pour une insatisfaction chronique
Un premier mot !
Traduction de l’expérience
Aux mots translation
Mot-bilier
Premiers mots : « moment ! »
La matière d’un manque précieux : Démodé
Les écrits s’envolent, les paroles restent : Mot courant
Si par malheur on se comprenait : Mot d’amour
Une dicte solitude : les Mots-dits
Nous aimons ce que nous n’aimons pas : Modération
Étonner l’impuissance : Mots bleus
Une poétique de l’énigme : l’émotion
Oser l’improvisation, faire avec la suspension du tremblement : Démo
Avec quelqu’un pour s’en passer : mobilisation
Corps et graphie : mobile et mot-bille
Pour un faire satis-faisant : motivation
Un dernier mot ? Motus
Quatrième de couverture
LA RÉBELLION DES GRABATAIRES
Gaëtan et Gaëtane, deux sémillants nonagénaires, ont décidé de fêter leurs 75 ans de mariage au sein de l’Ehpad « les premiers mots » qui les accueille et qu’ils détestent.
Elle est danseuse-diseuse, il écrit ; ensemble ils sont corps et graphie.
« Et si par malheur on se comprenait ? » dit un jour Gaëtane. Une chorégraphie physico-verbeuse pourrait remplacer cette dicte solitude et étonner notre impuissance.
Ensemble ils décident de métamorphoser le service, pour en faire une étrange salle des fêtes, une poétique de l’énigme.
Ils enferment le personnel soignant après leur avoir administré un laxatif, pour un faire satisfaisant disent-ils. Ah la matière ! Un manque précieux parfois !
Nous aimons ce que nous n’aimons pas ! s’exclame encore Gaëtan, et s’adressant à ses voisins de chambre : « Osons l’improvisation ! Faisons avec la suspension du tremblement !
Et en bonus, ils font appel à Lacan, une rencontre du contrat-rire. Archibald Lacan, le célèbre et désopilant clown des Ehpad, va les aider à faire de ce poussiéreux service un inextricable chambard estudiantin….
A 103 ans, Marcus Sénilus nous offre un premier roman très prometteur. Après une carrière de 80 ans dans la restauration d’objets anciens, cet autodidacte est entré à l’ENA ( École Nationale d’Ancestrologie) dont il est sorti senior de promotion.
Faisant suite à la causerie avec Philippe Madet du 14 septembre 2024 au Jeu de Paume à Rennes, nous laissons là, quelques créations plurielles et collectives. Des créations en amont, en aval et pendant l’évènement.
Les jours à venir, apparaîtront des notes au nombre de dix-sept qui témoignent de ceux qui ont bien voulu se prêter au jeu d’inscrire, en un ou quelques mots, ce qu’était pour eux l’analyse, faisant là résonner le titre du livre de Philippe Madet : « Une expérience du contraire. L’analyse ».
Aussi, en amont de cet évènement, nous nous sommes nous-mêmes données au jeu de la langue autour de ce texte pour créer dessins et écrits sur ce que nous a inspiré ce livre ; Cette liberté que nous nous sommes données ne saurait que trouver écho avec l’ouvrage de Philippe Madet, car était-ce son ton, son style, le bonhomme ?, n’empêche, qu’il est des rencontres où l’on se sent libre de créer.
Six autres textes seront partagés, certains écrits par nous, d’autres par des connaissances qui ont bien voulu se prêter à ce jeu. Six variations autour de « la table » (des matières) de l’ouvrage.
Un autre texte nous a été « offert » par un participant présent lors de la causerie. Il paraîtra également de manière anonyme, comme le reste, offrant là encore à voir l’effet que produit un livre, une écriture, un auteur, une rencontre.
Peut-être est-ce cela aussi « écrire », donner aux autres l’envie de s’y risquer.
Au détour d’une émission de radio, j’ai eu l’idée de revisiter un événement mondial aux retombées géopolitiques, dont la problématique prête aujourd’hui à sourire.
Le contexte remonte à 1975, en pleine guerre froide, une période très sensible marquée par des tensions comme la crise des missiles de Cuba. C’est à ce moment qu’est relancé un projet spatial conjoint entre l’Union soviétique et les États-Unis. Auparavant, les deux superpuissances s’étaient lancées séparément dans une course à l’espace. Dès 1963, lors d’une assemblée de l’ONU, Khrouchtchev avait proposé un projet commun, mais celui-ci fut alors refusé par les États-Unis. Cependant, l’idée de coopération fit son chemin. Dix ans plus tard, Nixon rencontra Brejnev, et un programme de coopération spatiale Apollo-Soyouz fut signé. L’objectif était de se donner rendez-vous dans l’espace pour une poignée de main entre astronautes des deux nations. Ce projet revêtait donc, au-delà des enjeux scientifiques, une importance diplomatique majeure, visant à illustrer l’apaisement des relations américano-soviétiques.
Mais, comme on dit, le diable se cache dans les détails ! Et ici, un détail de taille fit obstacle : la question de la technique d’amarrage entre les deux vaisseaux. Ce système, basé sur un mécanisme dit « cône-entonnoir » et communément désigné sous les termes de « mâle-femelle », provoqua un blocage. En effet, aucune des deux puissances ne souhaitait être perçue comme « jouant le rôle féminin ». Il fallut donc inventer un tout nouveau moyen d’amarrage. Les ingénieurs s’accordèrent finalement sur un système « hermaphrodite », également qualifié d’androgynique.
Les termes « mâle » et « femelle » ne sont rien d’autre que des signifiants. Mais cette situation montre comment ces signifiants imaginarisés sont interprétés : accepter d’incarner l’amarrage « mâle » semblait tolérable, mais endosser le rôle « femelle » devenait insupportable, car cela entraînait avec lui tous les signifiés associés à la position féminine de l’époque. Même si l’on était loin d’une question de sexuation, les termes employés pour désigner chaque côté de l’emboîtement y renvoyaient.
Dans son texte des Écrits intitulé L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud, Lacan montre en quoi les structures du langage déterminent le sujet, son inconscient et son rapport au corps. Pour l’illustrer, il utilise l’exemple de la « ségrégation urinaire ». Les deux portes jumelles portant les inscriptions « Hommes – Dames » incarnent l’impératif symbolique auquel est soumis l’homme occidental. Un signifiant seul ne signifie rien ; pour produire du sens, il faut qu’un autre signifiant lui soit associé (S1 – S2). C’est le cas du binaire « Hommes – Dames » : c’est la combinaison des deux signifiants qui engendre un effet de signification, d’où découle la production d’un signifié, souvent accompagnée, comme le dit Lacan, de « la surprise d’une précipitation du sens inattendu »1.
Notre aventure Apollo-Soyouz, illustre comment la production de signifié a poussé la recherche technologique à inventer un nouveau dispositif d’emboîtement spatial, pour qu’un autre signifiant nouveau permette que l’image soit sauve et celui-ci fut : « androgyne ».
Marie-Thérèse GOURNEL
1 J. LACAN, « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 500
Du lever au coucher du soleil
Un corps qui respire
Un corps en mouvement qui renouvelle ses gestes routiniers.
Un homme qui mange, avec d’autres
Un homme qui se baigne, avec d’autres
Un homme qui travaille à nettoyer les déchets des corps.
Un homme silencieux
Un homme à l’écoute de ce(ux) qui l’entoure(nt)
Un homme qui lève son regard vers le ciel.
Un regard qui se pose sur une jeune pousse
Un regard qui se tourne vers la lumière perçant à travers les feuilles
Un œil qui scrute la tâche et saisit un instant décisif.
Wim Wenders dessine le portrait d’un homme qui sait se faire disparaître au milieu des autres.
Hirayama, il est celui qu’on ne regarde pas dans son labeur ; quand bien même l’architecture des lieux est soignée et gadgétisée, ces lieux restent ceux du dépôt, des déchets. Hirayama est un silencieux qui lit et écoute des écritures venues d’ailleurs et d’avant. Cet underground qu’il laisse passer de lui ne laisse pas indifférent celles et ceux qui le côtoient et le rencontrent. Qui est-il ? D’où vient-il ? Que pense-t-il ? Quelle est son histoire ? etc. Ses silences accentuant l’énigme.
Wim Wenders dessine le portrait d’un homme à l’œuvre. D’un qui peut prendre à sa charge le déchet, d’un qui peut entendre les mots qui cherchent à se consoler quand la mort frappe, d’un qui ne recule pas devant le sous-terrain. La lumière dans la forêt.
Wim Wenders construit un film d’une esthétique minimaliste. C’est en épurant la ronde du quotidien, en resserrant la routine à quelques gestes que de subtiles et vivaces variations peuvent prendre la lumière et s’éclairer.
Aller à ce qui fait l’os d’une vie, toute en ombres et lumières, aller à cet effeuillement-là permet que s’attrape l’inattendu. Ce qui surgit d’un instant à l’autre ne pouvant être saisi que par l’attention portée au temps qui précède. Une photographie succédera à une autre.
Rien ne change. Et pourtant. La trouvaille est là, composition de ce qui a été.
Perfect Days, pour dire la joie d’une existence.
En un sourire.
Kristèle Nonnet-Pavois
La ligne est un tracé qui, par l’acte effectif qu’il sous-tend, fait naître un espace imaginaire propre à figurer le champ du fini et de l’infini.
Dans le geste créatif, la délimitation appelle irrémédiablement à un positionnement, à un repérage spatial. L’on peut, tour à tour, se placer « en dedans » ou « en dehors » du trait. S’il y en a deux, l’on peut aussi vouloir se situer « entre » dans une poétique inachevée de l’interligne.
Quelque soit l’endroit où le sujet décide de se situer par rapport à une ligne, l’acte du placement est inaugural dans le sens où il supporte la subjectivité d’un choix visant un but. J’en veux pour exemple, la « ligne de départ » réservée à celles et ceux qui s’apprêtent à faire la course pour être « la » ou « le » vainqueur et, accessoirement gagner la coupe. Dans cette situation, les starting-blocks font miroiter au coureur la victoire qui l’attend au bout de la piste.
Mais laissons la compétition pour revenir à la ligne comme forme propice à quelques réflexions métaphysiques.
Aux extrémités d’un trait, les caractéristiques de « l’au-delà » et de « l’en-deçà » se muent en des qualités qui jettent les bases d’une localisation possible de la Chose.
Le trait qui advient transcende et bouscule l’ordre des choses. Une multiplicité de possibles est en devenir pour qui choisit d’appartenir à l’un ou l’autre de ces champs qui s’ouvrent de chaque côté d’une ligne.
Grâce aux bords qu’il délimite, le trait formalise le lieu de l’existant, palpable et impalpable à la fois. Au carrefour de ces enchevêtrements et de ces alignements, il y a à la fois de l’abstraction et de la représentation.
Dans le travail de quadrillage, bâtir des lignes fait naître une perspective dans laquelle le regard vient se loger grâce au point de fuite. Dans cette construction visuelle, l’œil est attrapé par le détail. En revanche, le foisonnement de traits peut venir brouiller la vision et perturber la contemplation. Il faut alors sortir de ce nœud optique pour trouver d’autres repères plus espacés dans le tableau. Couché sur un papier, le travail des lignes se met au service d’une esthétique des aléas optiques du désir visuel.
Mais dégageons-nous de ce resserrage de l’expérience sensorielle pour prendre un peu de distance.
Je commencerai par cette question naïve : Pourquoi existe-t-il des traits, des lignes dans le monde qui nous entoure ?
D’un point de vue concret et pratique, une ligne a la propriété de réunir tout autant que de séparer. Tout dépend de l’usage que l’on en fait.
Dans certains cas, elle peut servir à faire la jonction entre deux choses, deux rives, deux univers différents. Par exemple, dans l’univers cinématographique du dessin-animé « Coco », le pont comme ligne-passerelle permet de passer du monde des morts à celui des vivants et vice versa. Il est essentiel car il représente le véritable le passage clé pour régler les problèmes de la famille de Miguel Rivera, héros du film.
Cependant, l’auteur d’une ligne peut la tracer dans le but de barrer, d’exclure, de rejeter hors d’elle tout ce qui se présente comme différent au regard de l’ensemble qu’elle définit en son sein. Ainsi, avoir le pouvoir d’établir une ligne n’est jamais anodin. Nous pourrions à ce sujet imaginer une triste « Histoire des murs » érigés dans différents endroits de la planète au fil des guerres et des conflits.
Loin de ségréguer, le franchissement d’une ligne peut aussi revêtir une valeur éthique et politique lorsqu’il s’agit d’une barrière, d’un barrage, d’une barricade, d’une frontière. Le dépassement infléchi par la traversée entraîne alors une temporalité individuelle pour qui tente de passer de l’autre côté. « Quitter, partir, s’affranchir » veut dire qu’il ne sera plus possible de revenir en arrière, de retourner à, vers. Et, plus rien ne sera jamais comme avant. Dans ce moment décisionnaire, le courage s’élève comme une bannière pour assumer une perte en laissant derrière soit un passé, pour un futur. Le passage de cette ligne symbolique se transforme alors en horizon, en échappée, en une trouée qui ouvre la perspective d’un à-venir meilleur.
Malgré l’interdit de franchir décidé par quelque autorité que ce soit, certain(e)s se risquent à traverser, bien souvent au péril de leur vie, si l’on a en tête la question des migrants. Franchir pour fuir l’horreur ou l’insupportable devient alors une nécessité pour éviter le pire. L’acte de survie d’un tel passage se fait au nom d’une cause, d’une raison qui se trouve derrièrela ligne de démarcation comme la promesse d’un monde meilleur.
Quand elle forme un cercle, une ligne enserre, rassemble, regroupe dans l’espace de l’Un. Untel qui appartient au même groupe est comme moi. Il devient mon semblable. Tandis que l’autre qui ne répond pas au critère de conformité sera placé en dehors. Nous touchons là un des effets discriminants du « tous en rond ! » dans le champ du lien social.
La formation d’un cercle peut avoir ses effets d’exclusion en repoussant en dehors de lui ce qui se présente, a priori, comme différent de soi. Tout élément renvoyé à l’extérieur de la circonvolution garantirait une protection contre le non désirable, le non désiré. Les figures fantasmatiques de l’étranger ou de l’inconnu sont, à ce titre, paradigmatiques du rejet de l’autre comme porteur d’une différence inassimilable. Pour celle ou celui qui se trouve dedans, les abords du cercle figurent un danger, un espace indéterminé, informe. L’individu appartenant au cercle reste donc confortablement installé dans une identité de « l’entre-soi » qui règne en maître au sein d’une réunion de personnes ayant un dénominateur commun.
Néanmoins, à l’appui de la psychanalyse, nous pensons que la dimension de l’Altérité ne se trouve pas autour de soi, mais dans le sujet lui-même en tant qu’il est divisé.
Ainsi, les « unions » qui se voudraient garants du familier, du connu est, dans l’expérience, une limite poreuse. Car, à suivre Freud, l’étrangeté réside dans l’inconscient du sujet comme langage dissimulé, caché. A son corps défendant, cette langue subjective fait retour dans les rêves, les lapsus, les actes manqués.
L’amour du cercle comme garant du Moi échoue donc quand surgit la vérité de l’Autre en soi.
Quittons cette forme géométrique du rond pour revenir aux dessins partagés qui, à bien des égards, signent un esprit fougueux dans le caractère sinueux que ses lignes revêtent.
Lorsque le crayon se pose sur la feuille, c’est une aventure délicieuse et incertaine qui commence dans une musicalité, un rythme, un tempo fait de dérives et de déviations. La perfection est un mirage vers quoi le désir de la réalisation idéale tend. Mais c’est un échec et heureusement. Car du ratage, il ressort toujours de la surprise, de l’inattendu. Alors, la nouveauté prend place dans un paysage visuel qui admet la coupure, la rupture et l’inachevé. « L’idée de la ligne droite est un fantasme 1» affirme Lacan à la fin de son enseignement en 1977. Il est donc impossible d’aller « tout droit ». La matière vivante du tracé intègre la réalité de l’erreur, de l’imperfection, de la discontinuité. Elle fait place à tout ce que l’artiste n’avait pas vu venir au commencement du trait.
En réaction à l’imprévu, la ligne dévie, la mine contourne l’obstacle dans un ballet dansant aux multiples virages. Le changement de direction fait partie du cheminement. Il arrive parfois qu’il y ait un point d’arrêt, un moment d’égarement, de doute… avant un nouveau départ. La digression est salvatrice pour se remettre dans les rails de la réalisation qui ambitionne l’achèvement final de l’œuvre. Voici au final une métaphore de cette fameuse « ligne de vie » qui prend des détours pour se frayer un chemin dans les méandres du vivant.
Tel le célèbre personnage issu de la série télévisée « La Linea » créé par le dessinateur italien Osvaldo Cavandoli, l’être humain marche sur un fil dont l’horizontalité se modifie, se tord et se déforme au gré des aventures qu’il rencontre sur son chemin.
Pour autant, il n’y a pas que de la nouveauté. Dans les dessins présentés, la répétition est ultra présente. Dans ce processus pulsionnel au cœur de cette impulsion à « refaire un autre trait », il y a une trace qui s’imprime dans le sillon de la ritournelle graphique. Une rengaine de la barre qui tente de cerner l’objet qui s’échappe dans l’interlude des tentatives d’inscription. Cependant, aucune marque ne s’équivaut. Tracer une, deux, trois lignes, c’est mettre en série des unités singulières entre lesquelles il n’y a rien. C’est le néant, l’absence, le vide. A partir de ce trou creusé d’un bord à l’autre des segments, un comptage symbolique s’opère dans un aller-retour permanent.
Ce mouvement de va-et-vient n’est pas sans rappeler ce jeu enfantin de l’élastique où la joueuse, le joueur sautent pour atterrir à pieds joints, tantôt sur la première ficelle, tantôt sur la deuxième. Jeu d’équilibriste dans lequel l’enfant est, dans ce moment fugace du saut, à la lisière de l’inévitable retombée. Le plaisir d’être en l’air, cette exaltation aérienne sera remplacée rapidement par la jubilation de l’atterrissage en plein sur le fil. La partie est finie. Une autre peut commencer.
Pour conclure, je ne peux pas faire l’impasse sur la dimension du corps et de son corolaire, la jouissance. Le dessin prend vie dans une expérience viscérale avec ses effets d’angoisse. Le porteur de la mine choisit de s’embarquer dans ce voyage dont il ignore comment celui-ci va se finir. Immergé « dans » la ligne, le créateur est fébrile de « ça-voir » où son propre geste va le mener.
« C’est le crayon qui me guide ». Je reprends là les mots touchants d’un jeune enfant ayant réalisé de multiples dessins d’une valeur inestimable pour sa construction dans l’ordonnancement psychique de son monde.
1 LACAN J. Le Séminaire, Livre XV, Le moment de conclure, leçon du 15 novembre 1977