Intervention à la soirée préparatoire aux journées nationales de l’EPFCL,
Les symptômes de l’inconscient, Rennes, le 20 septembre 2018
Que dire ?
Invitée à parler ce soir sur le thème de nos journées nationales « les symptômes de l’inconscient », la première question qui s’est posée à moi a été celle de ce que je pourrais en dire… Que dire des symptômes de l’inconscient, dans le champ de la pratique clinique, quand celle-ci est, non pas celle d’un psychanalyste et de la cure, mais celle d’un psychologue qui travaille dans le champ des soins palliatifs ?
Que dire des symptômes de l’inconscient suppose avoir idée de ce dont il s’agit. Enjeu de définition donc qui, à supposer que « de l’inconscient » soit un qualificatif, pourraient ne pas l’être. D’où mon titre, « les symptômes de l’inconscient, parce qu’il y en a d’autres ?! ».
Il s’agit dès lors dans un premier temps de situer les symptômes de l’inconscient en regard des soins palliatifs. Je dis « situer » car c’est la première dimension qui m’a arrêtée à la lecture de l’argument de ces journées. Colette Soler écrit[1] : « nous nous interrogeons avec ce titre sur la façon dont l’inconscient se manifeste, sur ses signes. Mais avant le comment, il y a la question du lieu : où s’atteste –t-il ? ».
Pour commencer, je vous propose pêle-mêle les questions qui m’ont traversées à partir de cette dernière : « où s’atteste les symptômes de l’inconscient ? ».
D’abord, me suis-je dit, dans la rencontre avec une personne malade : où s’exprime, où parle les symptômes ? Et là le corps est le premier support à l’expression du symptôme.
Corps parlant : de quoi, à qui, comment ? Le symptôme fait signe à un autre à qui j’adresse un message. Et là, la question soulevée relève du champ du discours.
Deuxième occurrence à l’argument de départ : « l’inconscient « n’ex-siste » qu’à un discours[2]». Alors, les symptômes de l’inconscient, est-ce une construction de la cure ? Peut-on les repérer hors champ de la cure ? Hors du discours analytique ?
Colette Soler pointe là l’enjeu politique de la psychanalyse : « pourra-t-il (le désir du psychanalyste) faire valoir que l’inconscient avéré dans son discours n’est pas moins attestable dans la politique[3] ?
Alors à articuler le lieu où s’atteste l’inconscient- le corps dans le champ des soins palliatifs- et la dimension de discours – en y entendant la dimension politique du lien social- je me suis posée la question suivante : qu’est ce qui fait symptôme en soins palliatifs ?
C’est intéressant ici pour moi d’être amenée à poser le soin palliatif comme un symptôme. D’emblée la portée politique me saisit.
Aujourd’hui « récupéré » par la médecine, située dans le discours du maître, les soins palliatifs il y a 40 ans, incarnait un mouvement subversif dans le champ de la médecine : entendre les malades, ceux qui vont mourir. D’un savoir sur l’autre du côté du médecin à un savoir du côté du sujet ; prenant en compte ses désirs, ce qu’il a à en dire. Aussi la dimension subjective à un poids réel dans la prise en compte du symptôme en soins palliatifs. Symptôme à entendre là comme le signe d’un malaise qu’il s’agit, avant de faire taire, de faire parler.
Pour exemple, voici ce qu’on peut lire dans la circulaire Laroque de 1986[4], premier texte législatif à proposer une organisation des soins relative « aux soins et à l’accompagnement des malades en phase terminale ».
« Le problème du soulagement de la douleur est central dans la démarche d’accompagnement. En effet, toute demande relative à la douleur par un patient ou son entourage dépasse généralement le cadre du désordre physique et appelle une réponse qui prenne en compte la douleur dans son contexte et ses conséquences, c’est à dire dans sa dimension de souffrance. Pour cela il est important de comprendre que toute la douleur s’inscrit dans une relation, que tout en étant une perception désagréable du corps, elle peut être aussi un message vers les autres. »
Faisant lien à la dimension politique dans lequel le symptôme s’inscrit voici, pour illustrer, la conclusion de la circulaire : « Par la généralisation de ces techniques de soins, on peut espérer que l’expérience acquise par chacun, du décès de proches intervenant dans la sérénité et la dignité, entraînera progressivement une transformation des conditions de la mort dans notre société. »[5] Autrement dit, poser la question du symptôme en soins palliatifs souligne à la fois la dimension du lieu du symptôme, de son adresse pour un sujet et souligne aussi la dimension politique du symptôme pris dans le malaise de la civilisation à poser l’hypothèse des soins palliatifs comme symptôme de la médecine actuelle.
A la lecture des pré/textes,
C’est avec ces questions en tête que j’ai lu les textes introductifs de nos collègues reçus ces derniers mois afin de mieux cerner ce que sont les symptômes de l’inconscient. J’en retiens 4 points :
La dimension du sens où le symptôme est valeur de vérité
Doucet[6] remarque que « les énoncés de l’entourage sont l’effet du discours contemporain qui voudrait traiter le symptôme médical sur le même mode que le symptôme analytique ».
C’est une dimension prégnante dans le symptôme en soins palliatifs notamment lorsque qu’une personne « tarde » à mourir : qu’attend-elle ? Qu’est ce qui la retient ? Ses proches « l’autorisent alors à partir… ». Les soignants émettent des hypothèses : le patient attend un proche avec qui il est fâché. On expérimente au quotidien les effets de ce message du symptôme vérité tel qu’il a été pris dans le sens commun.
Jean Michel Arzur revient sur cette dimension ainsi que sur la dimension de jouissance du symptôme.
Le symptôme dans le corps
Anne-Marie Combres[7] indique un point intéressant pour penser le symptôme dans la sphère médicale :
« Qu’ils collent à la peau ou qu’ils s’inscrivent comme évènements de corps, nous aurons à repérer comment les symptômes se manifestent, mais surtout comment ils se traitent dans l’analyse quand ils y sont amenés comme question ».
Enfin, elle répond à la question qui fait mon titre en nous précisant qu’a à ne pas avoir mis de virgules dans le titre (« Les symptômes, de l’inconscient »), ce sont bien de ceux qui sont effets de l’inconscient en tant qu’ils relèvent de l’expérience analytique, en tant que réponses à l’impossibilité d’écrire le rapport sexuel auxquels nous nous intéressons dans ces journées.
L’enjeu de la guérison
Je retiendrais ce point : B. Lapinalie[8] reprend ce que le discours dominant demande à la psychanalyse : c’est justement de débarrasser ses sujets « et du réel et du symptôme », mais si elle a du succès dans cette demande, alors elle s’éteindra !
J’ai là encore pensé à ce que la circulaire Laroque attend des soins palliatifs :
« Par la généralisation de ces techniques de soins, on peut espérer que l’expérience acquise par chacun, du décès de proches intervenant dans la sérénité et la dignité, entraînera progressivement une transformation des conditions de la mort dans notre société. ».
A y répondre, les soins palliatifs disparaitraient alors[9] : c’était le souhait affiché par les pionniers. Les Unités de soins palliatifs avaient comme vocation de disparaître quand les soins palliatifs seraient dispensés dans tous les services à tous les patients.
La dimension réelle du symptôme
Carlos Guevara, dans son intervention « Le symptôme est ce qui vient du réel »[10] cite plusieurs extraits de la Troisième sur laquelle nous allons prendre le temps de nous arrêter.
Je retiendrais ici ce point : Lacan nous indique que le symptôme est ce qui vient du réel, il nous indique aussi que le sens du symptôme est le réel. Ce qui permet de distinguer la psychanalyse de la science et de la religion : « le sens du symptôme n’est pas celui dont on le nourrit pour sa prolifération ou extinction, le sens du symptôme, c’est le réel, le réel en tant qu’il se met en croix pour empêcher que marchent les choses au sens où elles se rendent compte d’elles-mêmes de façon satisfaisante, satisfaisante au moins pour le maître »[11].
En résumé, vérité, corps, guérison, réel sont des signifiants qui parlent dans une clinique où l’enjeu de savoir se déplie au chevet du malade (que sait-il de la maladie, du service dans lequel il est, que veut-il/peut-il savoir ?) ; que la dimension de limite absolue de la mort s’imaginarise souvent sur le mode de l’échec chez les soignants (faire plus, mieux) et enfin, que la dimension de réel est ce qui nous amène à distinguer le symptôme tel qu’il est pris dans le discours de la science et aussi, tel que nous invite à le penser Lacan dans « La troisième », mais pas que…En effet, la dimension religieuse et le retour à la dimension spirituelle comme objet d’étude dans la sphère médicale font signe d’une quête de sens.
La lecture de la Troisième : qu’est ce qui fait symptôme en soins palliatifs ?
Aussi, la lecture de la troisième, une première pour moi, est une découverte précieuse qui méritera que j’y revienne. Plusieurs points m’ont interpellée pour cerner mon propos.
Un des points repris par Carlos Guevara[12] lors de la conférence de presse de Lacan le 29 octobre 1974 est que si la religion triomphe, alors la psychanalyse aura échouée. Lacan met en tension ce postulat avec les avancées de la science, qu’il qualifie de métier impossible, au même rang que celui de gouverner, éduquer et psychanalyser.
Cette mise en tension s’incarne, si j’ose dire, dans ce qui se joue aujourd’hui dans le champ des soins palliatifs. Certains réduisent les soins palliatifs à une version religieuse travestie : « Lorsque les soins palliatifs agissent, c’est de manière sémantique avec une tunique chrétienne qu’ils recouvrent le mourant »[13]. Je cite, Michel Onfray : « le jeu verbal, la sémantique spécialisée, le vocabulaire faussement technique décorent et travestissent le manteau palliatif : l’essentiel consiste à placer sa marchandise judéo-chrétienne[14] ».
En outre, la technique reprend une place importante quand les soins palliatifs prônaient une démédicalisation (en soins palliatifs, il y a 30 ans, arrêt de « tous les tuyaux ; arrêt des chimiothérapies). Pour exemple, le service dans lequel je travaille teste un outil visant à évaluer la douleur et l’anxiété chez le patient non communicant. D’abord testé en réanimation, il l’est chez nous et intéresse les psychiatres !
Enfin, la dimension de la parole a une place de choix et le psychanalyste est une figure importante notamment dans les groupes de paroles qu’il assure.
Lacan dès la conférence de presse nous donne des indications pour cerner les effets du discours de la science.
« La science a une chance, c’est une position impossible tout à fait également, seulement elle n’en a pas encore la moindre idée. » Ils commencent seulement maintenant, les savants, à faire des crises d’angoisse ! ».[…] La différence entre ce qui marche et ce qui ne marche pas, c’est que la première chose, c’est le monde, le monde va, il tourne rond, c’est sa fonction de monde ; pour s’apercevoir qu’il n’y a pas de monde, […] il suffit de remarquer qu’il y a des choses qui font le monde immonde : c’est de ça que s’occupe les psychanalystes. […] Et comme le réel, c’est ce qui ne marche pas, ils sont en plus forcés de le subir, c’est-à-dire forcés tout le temps de tendre le dos. Il faut pour ça qu’ils soient vachement cuirassés contre l’angoisse. »
De même, toujours dans la conférence de presse :
« La religion va avoir là encore beaucoup plus de raisons d’apaiser les cœurs, si l’on peut dire, parce que le réel, pour peu que la science y mette du sien, ça va introduire des tas de choses bouleversantes dans la vie de chacun ».
Et dans « La Troisième » : « Malgré tout, le réel pourrait bien prendre le mors aux dents ; surtout depuis qu’il a l’appui du discours scientifique C’est même un des exercices de ce qu’on appelle science-fiction. […] L’eugénique, l’euthanasie, enfin toutes sortes d’euplaisanteries diverses. Là où ça devient drôle, c’est seulement quand les savants eux-mêmes sont saisis, non pas bien sûr de la science-fiction, mais ils sont saisis d’une angoisse ; ça c’est quand même instructif. C’est bien le symptôme-type de tout avènement du réel. »
Petite digression sur l’angoisse dans « La Troisième »
« De quoi avons-nous peur ? De notre corps. C’est ce que manifeste l’angoisse. L’angoisse c’est justement quelque chose qui se situe ailleurs dans notre corps, c’est le sentiment qui surgit de ce soupçon qui nous vient de nous réduire à notre corps. […] L’angoisse ce n’est pas la peur de n’importe quoi que ce soit dont le corps puisse se motiver. C’est une peur de la peur. »
« L’ennui c’est qu’ils [les biologistes] ne s’aperçoivent pas pour autant que la mort se localise du même coup à ce qui dans lalangue, telle que je l’écris, fais signe. […] Les « eu » [du grec « bien » – : « belle mort »], nous mettrait enfin dans l’apathie du bien universel et suppléeraient à l’absence du rapport que j’ai dit impossible ».
Plusieurs collègues ont pointé le caractère « visionnaire » de La Troisième de Lacan, notamment sur la dimension gadget de notre époque. J’ai découvert pour ma part, la façon dont il permet de penser les revendications euthanasiques comme façon de recouvrir le non rapport sexuel, supprimer l’impossible.
Pour conclure,
Pouvons-nous parler de symptômes de l’inconscient dans ce que je viens de vous rapporter ? Et bien « l’inconscient s’atteste » pour reprendre la formule de C. Soler dans la part de mystère, d’énigme qui flotte et jaillit[15] ; comme M. Menès nous le laisse entendre, l’insaisissable de l’être se rencontre ici.
Quant au symptôme, la clinique à l’hôpital nous ramène aussi à le distinguer du signe/ le signe à interpréter, est ce déjà un symptôme ? Et pour qui ? Ici il s’agit plutôt de « guetter » le signe pour reprendre une expression de Ph. Lançon[16] afin d’ éviter l’apparition, la constitution du symptôme au risque de faire taire le sujet.
A se poser cette question des symptômes de l’inconscient, je reviens à celle autour de laquelle je tourne : qu’est-ce que je fais là ? Quel est mon acte en tant que psychologue/psychanalyste ?
Colette Soler pointe là l’enjeu politique de la psychanalyse : « pourra-t-il [le désir du psychanalyste] faire valoir que l’inconscient avéré dans son discours n’est pas moins attestable dans la politique ?
Le psychologue/psychanalyste –son désir- fait exister la dimension de l’inconscient du symptôme dans un champ où le discours de la science tendrait à la mettre de côté (en position d’impossible dans la ronde des discours).
Le symptôme comme ce qui vient du réel, qui dit le non rapport sexuel trouve son expression dans le champ des soins palliatifs à plusieurs endroits : mise en tension dans la notion même d’accompagnement de ce qui revient au sens (religieux), à la dimension du sujet (sa parole) et à la médecine qui tente de sauver, malgré tout (toujours plus, toujours mieux).
Symptôme dans ce qui s’atteste dans la souffrance du patient dans la peur de mourir et la solitude du parlêtre (« que dire ? Vous ne pouvez rien faire pour moi… ») et enfin symptôme dans la souffrance du soignant pris dans le discours où à traiter la mort comme une question on tente d’y répondre.
[1] C. Soler, Argument du 2 novembre 2017 sur le thème des Journées nationales EPFCL 2018 à Paris « les symptômes de l’inconscient ».
[2] Ibidem.
[3] Ibidem.
[4] Circulaire Laroque, « Circulaire relative à l’organisation des soins et à l’accompagnement des malades en phase terminale », 26 août 1986.
[5] Ibidem.
[6] C. Doucet, « La pratique clinique en soins palliatifs. Accompagnement psychothérapeutique ou psychanalyse appliquée ? », Psychothérapies 2008/2 (vol 28), p.121-126.
[7] A.-M. Combres, « Pré/texte 2 », mensuel, n°124, EPFCL, mai 2018, p.53-55.
[8] B. Lapinalie, « Pré/texte 3 », mensuel n°125, EPFCL, juin 2018, p.29-30.
[9] Circulaire Laroque, art. cit.
[10] Carlos Guevara, « Le symptôme est ce qui vient du réel », mensuel 1n°122, EPFCL, mars 2018, p.50-54.
[11] J. Lacan, « La Troisième », conférence prononcée lors du 7ème Congrès de l’Ecole Freudienne de Paris à Rome, le 1er novembre 1974, parue dans les Lettres de l’Ecole freudienne, n°16, 1975.
[12] J. Lacan, Conférence de presse donnée au centre culturel français de Rome le 29 octobre 1974, parue dans les Lettres de l’Ecole freudienne, n°16, 1975.
[13] M. Onfray, Les fééries anatomiques, Paris, Grasset, 2003, p.333.
[14] Ibid., p.358.
[15] M. Menès, « Les symptômes de l’inconscient », mensuel n°122, EPFCL, mars 2018, p.47-50.
[16] P. Lançon, Le lambeau, Paris, Gallimard, Collection Blanche, 2018.