Le juif et la sorcière

Texte de l’intervention prononcée lors de la journée du Pôle 9 Ouest de l’EPFCL-France, Semblants d’homme, à Rennes, le 5 octobre 2019[1].

 

Semblants d’homme – Livre Numérique

 

Tout d’abord le titre : qu’est-ce que c’est que ce titre ?

« Le juif et la sorcière ». S’agit-il de l’homme Freud et la sorcière psychanalytique ? Non, ce n’est pas tout à fait ça ici.

Juif et sorcière comme nous allons le voir, sont deux figures liées, tant dans l’histoire que dans le langage, qui peuvent avoir un certain poids du côté de l’insulte et de la dépréciation. Ce sont deux semblants qui jouent au littoral, venant faire trembler le semblant d’homme : cette vacillation nous donne la mesure de ce qui fait constitution dudit semblant d’homme, de par ses bords et ses limites.

Commençons par cette remarque : depuis la seconde guerre mondiale, les modalités de la pratique analytique ont changé. Je ne pense pas ici au bouleversement engendré par l’enseignement de Lacan, mais aux effets des marques de l’Histoire. Le meurtre de masse industriel que fut la solution finale nazie a produit un franchissement radical dans la prise en considération de l’être parlant. La référence au juif, depuis la Shoah, vient même hanter l’analyse : sur les divans, le juif fait figure de point logique d’une destitution subjective actée dans et par l’histoire.

La thématique de cette journée est l’occasion de faire entendre la précarité de cette construction, ce masque de semblant d’homme qui pare à l’incertitude du « Qui suis-je ? », du « Que suis-je ? ». Le semblant d’homme a valeur de présomption, pour reprendre le terme de Lacan[2] : présomption car il s’agit d’une assertion subjective anticipante, vérité performative d’un « je suis homme » devant l’autre, dans une précipitation qui prend de court toute annulation possible, toute autre forme dépréciative ou négative. La forme de cette assertion est donnée par Lacan en conclusion du texte du temps logique, dans trois phrases qui se mettent en tension, sur fond de leur propre négation :

« 1° Un homme sait ce qui n’est pas un homme ;

2° Les hommes se reconnaissent entre eux pour être des hommes ;

3° Je m’affirme être un homme, de peur d’être convaincu par les hommes de n’être pas un homme[3] ».

Ainsi, précise Lacan, la détermination essentielle du « je » est concomitante de ce mouvement, révélant la forme logique où toute assimilation « humaine » est assimilation d’une barbarie[4]. C’est sur fond de ne pas être reconnu comme homme que « je » me précipite.

Cela éclaire ce qu’écrit Anne-Lise Stern dans Le Savoir-Déporté : « je m’autorise à soutenir, même si la formule peut surprendre, que le petit a de la théorisation lacanienne vient directement d’Auschwit[5] ». Anne-Lise Stern se réfère à un passage de Lacan : « Ne participent à l’Histoire que les déportés : puisque l’Homme a [petit a, c’est moi qui souligne] un corps, c’est par le corps qu’on l’a. Envers de l’habeas corpus[6] ».

Le titre du recueil de poèmes de Charles Dobzynski souligne de manière rimbaldienne l’exil du parlêtre, tant dans le rapport au corps qu’au langage : « Je est un juif, roman[7] ». Ce titre nous donne la mesure de toute une perspective de recherche en l’occurrence. Posons en premier lieu qu’en hébreu, il y a deux locutions pour dire « je » : אני « Ani », qui est le je « en propre », un « moi-je » pouvons-nous dire, et אָנֹכִי (ou אנוכי) « AnokHi », où l’ajout de la lettre Khaf introduit le « comme ». C’est un « comme je », « un presque je » désigné dans le « je », un « je » qui ne peut être totalité et se contenir lui-même, un « je » qui questionne sa contradiction et son incomplétude, un « je » qui questionne les semblants.

Ainsi regardons par où peut trembler le semblant d’homme, par où il se destitue afin d’en révéler la constitution et la fonction logique. Examinons donc cette assimilation de la barbarie en prenant au sérieux la trouvaille du rabbin Delphine Horvilleur qui parle « d’antisémythologie[8] ».

Il est remarquable que la construction historique de la figure du Juif dans son rapport au diable, au moment de la première Croisade[9] (fin XIème siècle) soit en relation étroite avec la figure de la sorcière : en effet, c’est la période où la figure de Synagoga s’élabore, personnifiant l’instance de la synagogue qui, selon les chrétiens, nie l’enseignement du Christ. Synagoga est cette figure insoumise d’une femme dédaigneuse, fière et railleuse, parfois représentée les yeux bandés – et c’est même un serpent qui tient lieu de bandeau sur la statue de la façade ouest de Notre-Dame de Paris –, qui progressivement se voit rattachée à Satan (car une telle figure ne peut avoir d’autre destin que celui d’être dévorée par les flammes de l’Enfer). Refusant la Loi du nouveau testament, la communauté juive, par l’entremise de cette personnification féminine, a vendu son âme au diable, œuvrant alors dans « l’enseignement du mépris ». Cet aveuglement s’avère démoniaque et cette obstination, maléfique[10]. Ainsi la figure du juif accumule divers attributs issus de l’imaginaire de la Sorcellerie : en plus de concentrer les vils pêchers – usurier, profanateur, criminel, empoisonneur et semeur de peste[11] – l’iconographie médiévale le bestialise (scorpion, chauve-souris et chouettes, animaux « aveugles ») et le transforme en créature fantastique, devenant démon lui-même, doté de cornes et de griffes acérés, de mamelles qui le féminise[12], « collusion dans l’imaginaire médiéval du Juif et de la femme-sorcière, courant antiféministe » précise l’historien Daniel Iancu-Agou[13]. La mise au ban de la société chrétienne médiévale concernait également les hérétiques, les fous, les lépreux. Mais cette collusion entre Juif et sorcière, pointée également par Marc-Alain Ouaknin[14], laisse entendre une condensation logique, dont Synagoga est la figure primitive, celle d’un rapport au féminin incarnant le mal, dont la jouissance est débordante, transgressive (citons notamment les histoires de sacrifices d’enfants, d’anthropophagie, de licence sexuelle et d’inceste). L’inquisition au XVème siècle se dotera d’ouvrages tels que le Malleus Maleficarum[15] afin d’expertiser ces femmes, instruments du démon[16].

Il y a ainsi un point commun entre chasse aux sorcières et antisémitisme, qui est la supposition d’une jouissance débridée, débordante, une jouissance de l’Autre qui nous exclut, principe fondamental de l’invidia.

Cette envie n’est pas de l’ordre du désir, mais avant tout supposition que l’Autre jouisse davantage que soi-même. Cette jouissance supposée à l’Autre juif est d’autant plus présente que cette altérité du juif ne peut se discerner par un quelconque trait distinctif, malgré les tentatives d’essentialisations caricaturales pour reconnaître le juif à diverses périodes de l’histoire. Cette « invisibilité » sociale du Juif dans la phénoménologie scopique fait de l’antisémitisme une forme des plus efficaces de l’économie de la haine de l’Autre. D’ailleurs, cette supposition de jouissance de l’Autre juif, jouissance toujours excessive, privant le reste du monde, va jusqu’à la formalisation, au début du XXème siècle, de théories du complot juif, telles que le Protocole des Sages de Sion – célèbre faux à caractère antisémite rédigé à Paris en 1901 par Matveï Vasilievitch Golovinski, plagiant Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, pamphlet anti-bonapartiste de Maurice Joly[17]. Ainsi, le juif comme le diable occupent des places qui permettent de décharger non seulement l’angoisse de l’autre – en cela, juif et diable sont tous deux des figures de Satan (שָׂטָן śāṭān « l’adversaire », « ennemi » en hébreu) – mais également la question du pêché et du mal. Dans Malaise dans la civilisation, Freud souligne précisément ce point :

« Dieu n’a-t-il pas fait l’homme à l’image de sa propre perfection ? Et nous n’aimons pas qu’on nous rappelle combien il est difficile de concilier – en dépit des affirmations solennelles de la « Science chrétienne » – l’indéniable existence du mal avec la toute-puissance et la souveraine bonté divine. Le diable est encore le meilleur subterfuge pour disculper Dieu ; il remplirait là cette même mission de « soulagement économique » que le monde où règne l’idéal aryen fait remplir au Juif[18]. »

Ces figures de l’altérité permettent de tenter de reterritorialiser la jouissance mauvaise qui apparaît comme charge angoissante non localisée. De même que le pervers est toujours l’Autre, la figure du Juif remplit également cette fonction de l’altérité rejetée, l’hétérité qu’on ne reconnaît que dans l’expulsion. A ce titre, nous pouvons dire que la supposition de la jouissance de l’Autre est toujours « juste », au sens où elle saisit un point de jouissance, même si c’est toujours à la mauvaise place : l’invidia saisit toujours justement un rapport de jouissance à soi-même ignorée, qui est alors projetée sur la figure de l’Autre. En effet, de par la méconnaissance imaginaire, cette supposition se trompe de place : on suppose toujours ailleurs ce qui existe à l’endroit de son énonciation, à ne pas reconnaître l’insu d’une jouissance qui nous porte.

La figure du juif porte cette logique du diabole, jusqu’à constituer l’imaginaire du diabolique. Etymologiquement, dia-bolus est le contraire du symbole (σύμβολον, sumbolon, littéralement « jeter/mettre ensemble ») qui signifie « mettre à l’écart », mais aussi « souligner la différence ». Durant la période médiévale, le diabole désigne tout propos incitant à la discorde. Lorsque Marc-Alain Ouaknin souligne par ailleurs l’espace psychanalytique comme espace de l’intervalle, espace « diabolique » (ce qui rejoint l’éthique du désir de l’analyste d’obtenir la différence absolue selon l’expression précise de Laca[19]), il pose l’exégèse talmudique comme culture de l’intervalle et de la différence – voire de la dispute –, pour faire émerger un entre-deux, tension inhérente à la parole et au vivant[20]. Remarquons que de la fin du XIXème siècle jusqu’à l’avènement du nazisme, la « sorcière psychanalytique » fut également baptisée « science juive » par bon nombre de ses détracteurs antisémites. Le diabole s’entend également comme rapport de coupure constitutif de la parole : en hébreu, « mot » et « circoncision » permettant l’Alliance s’écrivent et se disent par le même signifiant מילה, milah[21]. Afin de réduire ce pluralisme de lecture et d’interprétation, la question du vrai et du faux est venu évacuer le rapport de diabole pour la déplacer sur la figure du juif, comme diabolique, et ensuite sur un plan juridique : « Iudaei, dicuntur filii diaboli[22] », signifiant « Les juifs sont les fils du Diable[23] ».

Le remarquable travail de Delphine Horvilleur sur la question antisémite reprend notamment cette épistémologie, où la figure du juif représente l’obstacle à la croissance et la maîtrise du monde, rappelant constamment l’impossible pureté, unité, totalité et complétude dans le monde[24]. L’expression de « peuple élu », alimentant le fantasme antisémite du juif supérieur et dominateur, apparaît lui-aussi comme relevant du chemin logique du diabole : la traduction littérale de l’expression hébreu עם סגולה, Am Ségoula, est « peuple trésor », tel un bien précieux, signifiant également « peuple capable de distinctions[25] », retrouvant cette culture des écarts nécessaires pour entrer dans la partition signifiante. Rapprochant figure du juif et position féminine, Delphine Horvilleur rectifie à une lettre près la formule antisémite : les juifs ne sont pas partout, il sont pas-tout[26], permettant de faire également entendre une thèse implicite tout au long de son travail : la disparité subjective est hébreu dans son étymologie. En effet, עברי, Ivri (« hébreu ») signifie en premier lieu « le passant », « celui qui traverse », celui ainsi pris entre deux rives, exilé de son origine et ne pouvant faire Un : cette perspective permet de préciser de façon rigoureuse la notion de sujet comme structure de disparité. Ceci devrait beaucoup intéresser les psychanalystes autour de la question de la passe : avançons ici que celui qui passe est étymologiquement « hébreu », radicalement séparé de son origine. Voilà qui vient faire trembler les assises du semblant d’homme.

Le signifiant Juif est aussi une jouissance antisémite qui s’entend dans la langue : « faire les choses en juif », le coup du « petit juif ». Ces expressions dénotent de cette dépréciation de ce qui à la fois fait invidia et angoisse de la coupure. Mais cette dernière est à rapprocher de la marque du féminin consubstantielle du Juif, agissant sur le monde, telle que Delphine Horvilleur le développe, notamment dans la récurrence des histoires de règles chez les hommes juifs dans les textes antisémites. Ainsi « le corps de l’homme juif saigne chaque mois, par l’un ou l’autre de ses organes, le nez ou l’anus, de préférence. (…) Au XIIIème siècle, l’anatomiste chrétien Thomas de Cantimpré écrit que les hommes juifs ont des menstruations et que le phénomène est la preuve d’une malédiction ancestrale. Les Juifs saigneraient pour payer le sang du Christ versé. La logique est simple : c’est parce qu’ils ont saigné qu’ils saignent à leur tour… et c’est ce qui nous autorise à les « saigner »[27] ».

Mais poursuivons avec cette question : de quoi cette monstruation est-elle le nom ? J’avais, il y a quelques temps, développé un travail sur l’insulte comme phénomène de bord et développé plus particulièrement l’insulte comme traitement du féminin, permettant il me semble, d’entrevoir la logique qui soutient le semblant d’homme. Celui-ci permet de trouver une place, voire de s’y précipiter, afin de se départir d’une quelconque affiliation au féminin (Freud parle de « refus de la féminité[28] »), évitant alors l’horreur injurieuse d’être pris pour une femme en s’affirmant dans un rapport phallique.

Le caractère énigmatique de la position féminine, qui est le fondement de ce mouvement de rejet, n’empêche pas – autre face de la même pièce – d’y être intéressé, intrigué ou questionné, au contraire même : nous avons alors cette interrogation, « qu’est-ce qu’être une femme ? », qui traverse autant les sujets masculins que les sujets féminins comme le rappelle Lacan[29].

En 1918, dans ses « contributions à la psychologie de la vie amoureuse », Freud développe l’idée de cette « crainte essentielle », qui se trouve pour l’homme à l’égard de la femme :

« Peut-être ce qui fonde cette crainte, c’est le fait que la femme est autre que l’homme, qu’elle apparaît incompréhensible, pleine de secret, étrangère et pour cela ennemie. L’homme redoute d’être affaibli par la femme, d’être contaminé par sa féminité et de se montrer alors incapable[30] ».

Ce rapport de jouissance, liée à la part féminine de l’être, réactualise ainsi l’angoisse, l’horreur de la castration, telle que l’écrit Freud à propos de la tête de Méduse[31]. Le semblant d’homme fait alors suppléance devant l’angoisse, dans une fonction de recouvrement d’un point d’horreur, autrement dit un point de réel pour le sujet.

La notion d’homo sacer chez Giorgio Agamben fait entendre précisément les effets de vacillation du semblant d’homme pris en défaut. Figure d’homo sacer, Agamben souligne : « Le juif, sous le nazisme, devient le référent négatif privilégié de la nouvelle souveraineté biopolitique et, comme tel, un cas flagrant d’homo sacer, au sens où il représente la vie qu’on peut ôter impunément mais non sacrifier[32] ».

Le film Le fils de Saul, réalisé en 2015 par le réalisateur hongrois László Nemes, montre une tentative de sortie de cet homo sacer. Georges Didi-Huberman souligne très justement, au début de sa lettre au réalisateur, que son film est un monstre, « un monstre nécessaire[33] ». Comment retrouver une humanité ? Comment réhumaniser la mort lorsque tout est inhumanisé dans le camp d’extermination, lieu du meurtre de masse industrialisé ?

Le film nous emmène dans le quotidien du camp où Saul semble reconnaître un enfant, parmi la masse des cadavres gazés, comme son fils : appel au symbolique, qui est aussi une folie, appel essentiel à un lien d’humanité alors abandonné dans ce lieu. C’est un appel à la filiation, à la reconnaissance des traces, à l’héritage, à la tradition : s’inscrire comme corps parlant dans la vie, puis la mort, s’inscrire dans une fiction nécessaire (avoir un fils, le reconnaître, l’inhumer à sa mort et faire une cérémonie – trouver un rabbin et dire le קדיש, le Kaddish –, inscrire ces liens dans le social, tenter de se soutenir des semblants), pour contrer le réel du trou des camps, s’arracher à la vérité des trumains[34].

Faire avec la mort pour vivre, faire avec les morts, jusqu’à la hantise, est ici un geste qui subvertit radicalement le régime imposé par le camp. Il ne s’agit plus de survivre, au sens de faire avec les règles de l’Autre nazi, au sens de l’effacement de l’histoire, mais de ré-inscrire le lien symbolique comme une nécessité, jusqu’à contrer l’impossible. Se ré-inscrire dans l’ordre symbolique, jusqu’au délire, comme expression exacerbée du sujet comme singularité, expression de l’impératif d’une inscription, d’une écriture du sujet, aussi singulière soit-elle dans le monde.

Ce qui paraît délirant, folie, dans le contexte des camps, est cette nécessité du « geste » qui historise à nouveau les corps, distingue alors les morts des vivants – des vivants qui s’occupent des morts – pour faire à nouveau lien. La nécessité de ce geste s’entend comme le seul mode pour Saul de se tenir encore vivant, encore existant pour ne pas se réduire à la pure « vie nue », au pur « stück » de l’Autre SS. Nécessité d’une poésie incommensurable qui le fait homme, ce qui, dans cette horreur du camp d’extermination, semble littéralement fou. La nécessité de faire sépulture au fils est impulsion pour réanimer le lien social des vivants, dans leurs temporalités, leurs espaces et ainsi de retrouver des limites[35], ré-inscrire ainsi le temps et l’espace.

Saul tente de sortir de sa condition réduite à l’homo sacer ainsi qu’au témoin intégral[36], tellement intégré au camp, en tant que Sonderkommando, instrument de travail dans la mise en œuvre de l’extermination industrielle. Le témoin intégral étant celui qui ne peut plus en répondre, devant le réel, le film montre le moment où Saul tente de sortir de cet impossible d’en répondre : il vaudrait mieux dire qu’il s’agit du moment où pour Saul, ça tente de sortir, car c’est par la voie de l’impératif du signifiant, condition de l’articulation symbolique et de l’ordre du monde, délirant ou non, que Saul tente d’en répondre. L’épiphanie terminale de Saul, vision de l’enfant libre, qui continue de vivre, est une ponctuation qui vient réaliser la réinscription des liens : au moment où Saul va mourir, l’enfant est redevenu enfant et par là-même, Saul est redevenu homme. Auparavant, Saul en aura également répondu de son témoignage, en prenant secrètement quelques photographies du camp d’extermination (faisant référence aux quatre clichés de 1944 tirés d’un appareil photo retrouvé à Auschwitz-Birkenau). Impératif impérieux d’en répondre comme être parlant devant l’horreur hors-sens de la Shoah. Impératif pour ne pas sombrer subjectivement dans l’apathie, l’inaffectivité radicale, de ne pas devenir une ombre parmi l’ombre du monde. Lutter pour ne pas rejoindre son spectre, sans mot dire, et refuser d’habiter l’enfer, sans maudire.

Le semblant d’homme fait suppléance du parlêtre au littoral du réel, au littoral du sexe, de la folie (aux limites de la jouissance et du langage comme radicale altérité), au littoral de la mort.

[1] Alexandre Lévy est psychanalyste à Angers, enseignant-chercheur Faculté SHS, UCO Angers.
[2] Lacan Jacques, « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée. Un nouveau sophisme », dans Écrits, Paris, Seuil, [1945] 1966, p.211.
[3] Ibid., p.213.
[4] Ibid., p.213.
[5] Stern Anne-Lise, Le Savoir-Déporté. Camps, Histoire, Psychanalyse, Paris, Seuil, 2004, p.200.
[6] Lacan Jacques, « Joyce le sinthome », dans Autres écrits, Paris, Seuil, [1975] 2001, p.568.
[7] Dobzynski Charles, Je est un juif, roman, Paris, Gallimard, coll. « Poésie Nrf », [2011] 2017.
[8] Horvilleur Delphine, Réflexions sur la question antisémite, Paris, Grasset, 2019, p.34.
[9] Blumenkranz Bernhard, Le Juif médiéval au miroir de l’art chrétien, Paris, Études Augustiniennes, 1966, p.11-39.
[10] Iancu-Agu Daniel, « Le diable et le juif : représentations médiévales iconographiques et écrites », dans Sénéfiances 6, Le diable au moyen-âge, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 1979, p.259-276.
[11] Shatzmiller Joseph, Recherches sur la communauté juive de Manosque au Moyen Age, Paris-La Haye, 1973, p.134-135.
[12] Raphaël Freddy, « Juifs et sorcières dans l’Alsace médiévale », Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, n°3, 1974, p.69-106.
[13] Iancu-Agu Daniel, « Le diable et le juif : représentations médiévales iconographiques et écrites », op. cit.
[14] Ouaknin Marc-Alain, Concerto pour quatre consonnes sans voyelle, Paris, Payot, 1991, p.257.
[15] 1486-1487, Henry Institoris et Jacques Sprenger, dominicains, 1ère édition à Strasbourg chez Jean Prüss.
[16] Kappler Claude, « Le diable, la sorcière et l’inquisiteur d’après le Malleus Maleficarum », dans Sénéfiances 6, Le diable au moyen-âge, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 1979, p.277-291.
[17] Joly Maurice, Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, ou la politique de Machiavel au XIXème siècle par un contemporain, Bruxelles, Éditions A. Mertens et fils, 1864.
[18] Freud Sigmund, Malaise dans la civilisation, Paris, P.U.F., [1929] 1986, p.75.
[19] Lacan Jacques, Le séminaire Livre XI, Les quatre concepts de la psychanalyse, trans. Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, [1964] 1973, p.248.
[20] Ouaknin Marc-Alain, Concerto pour quatre consonnes sans voyelle, op.cit., p.240-241.
[21] Ibid., p.250.
[22] Nova Bibliotheca Vetervm Patrvm Et Scriptorvm Ecclesiasticorvm Sive Svpplementvm Bibliothecae Patrvm ; Continens Opvscvla Plvrimorvm (etc.) : 11.12, t.2, Éditions Paris, 1639, p.280.
[23] Ouaknin Marc-Alain, Concerto pour quatre consonnes sans voyelle, op.cit., p.254.
[24] Horvilleur Delphine, Réflexions sur la question antisémite, Paris, Grasset, 2019, p.74-75.
[25] Ibid., p.114.
[26] Ibid., p.125-127.
[27] Ibid., p.87-88.
[28] Freud Sigmund, « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », dans Résultats, idées, problèmes, t. II, Paris, P.U.F., [1937] 1985, p.266.
[29] Lacan Jacques, Le séminaire Livre III, Les psychoses, trans. Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, [1955-1956] 1981, p.193.
[30] Freud Sigmund, « Le tabou de la virginité (Contributions à la psychologie de la vie amoureuse) », dans La vie sexuelle, Paris, P.U.F., [1918] 1999, p.71.
[31] Freud Sigmund, « La tête de Méduse », dans Résultats, idées, problèmes, t. II, Paris, P.U.F., [1922] 1998, p.49.
[32] Idem.
[33] Didi-Huberman Georges, Sortir du noir, Paris, Les éditions de Minuit, 2015, p.7.
[34] Lacan Jacques, Le séminaire Livre XXV, Le moment de conclure, leçon du 17 janvier 1978, inédit.
[35] Et ainsi réanimer le Geviert heideggerien : l’ordre symbolique du monde où se place le quadriparti : les Dieux, le Ciel, la Terre, les Mortels. Heidegger Martin, « Bâtir, habiter, penser », dans Essais et conférences, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1958, p.188.
[36] Agamben Giorgio, Ce qui reste d’Auschwitz. L’archive et le témoin. Homo Sacer III, Paris, Payot, coll. « Rivages poche », 2003, p.41.