Le Dire invisible – Conclusion

Intervention conclusive prononcée lors de la journée pluridisciplinaire Art & psychanalyse organisée par les membres de l’EPFCL du pôle Ouest sur « Le Dire invisible » à Rennes le 23 avril 2016

 

« On ne voit bien qu’avec le cœur,
l’essentiel est invisible pour les yeux.»
Saint Exupéry, Le petit Prince

Conclure… ou plutôt poursuivre. Poursuivre cet élan, ce désir, de nouer la psychanalyse et sa découverte de l’inconscient, aux créations, aux solutions que l’homme a toujours ébauché pour répondre à l’énigme de la vie.

Solutions singulières pour cerner ce Réel, questions sans réponse, ou plutôt sans vérité, ce qui ouvre à chacun la possibilité du semblant pour une vie qui s’écoule. Retranscription du mystère, comme si ce réel, cette nature nous livrait son explication. Je ne résiste pas à vous citer Vincent Van Gogh dans une de ses correspondances à son frère Théo : « (…) je vois que la nature m’a raconté quelque chose, m’a parlé et j’ai sténographié ses paroles (…), ce que le bois ou la plage ou la figure m’ont dit. » « Je ne connais pas encore meilleure définition de l’art que celle-ci : l’art c’est l’homme ajouté à la nature – la nature, la réalité dont l’artiste fait ressortir le sens, l’interprétation, le caractère, qu’il exprime, qu’il dégage, qu’il démêle, qu’il libère, qu’il éclaircit […]. Une toile de Mauve ou d’Israëls nous dit bien plus que la nature elle-même, et nous le dit plus clairement. »[1]

Du dire invisible à l’image audible comme pour Vincent Van Gogh dans son besoin impérieux de dire son travail. Vous entendrez besoin et non désir car pour cette artiste c’est un élan vital. La peinture devient une sorte d’écriture, un chiffrage possible de la jouissance. La peinture devient alors une autre langue, qui en enlaçant le sujet à la Chose, pourrait inscrire quelque chose de cette Autre jouissance. L’art selon Lacan « élève un objet à la dignité de la Chose.»[2] C’est une forme de nouage, d’écriture, qui vient faire limite, qui offre un précipité au sens chimique du terme de ce qui traverse l’artiste. L’agencement d’un tableau, le processus artistique, sont autant de données topologiques qui offrent un accès privilégié au symbolique.

La tentative de dire « ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire » car au commencement était le verbe, mais au commencement était aussi l’image. L’art pictural remonte aux origines de l’homme, inscrit sur les parois des cavernes, qui contrairement à ce que l’on croit ne servaient pas d’habitat. Pensée animiste qui me traverse quand je pense à ces hommes regagnant le ventre de la terre pour inscrire sur ses bords le mystère de la vie. Question de la trace également, qui survit au-delà du corps. Du transmissible au-delà du fini. A-temporalité du réel donc, et tentative toujours de venir cerner, saisir, expliquer.

L’analyse joue sur un effet de sens et plus particulièrement celui qui se situe au point où langage et corps se rencontrent : à ce moment le sens touche, le sens affecte. L’analyste est alors le réceptacle, lieu de recueil, du oui à recevoir.

La création est également une Bejahung, un oui primordial au sens, une tentative d’explication à partir du Rien qui en passe par le Verbe car créer reste la mise en forme d’une histoire singulière. À quoi répond une Ausstossung, (éjection, expulsion, émission décharge)  qui traduit un non au service du oui. Alors la toile, la page dit oui, et l’œuvre y répond en donnant du sens à l’irreprésentable.

L’artiste donne à voir, il nous incite à parler même si comme le dit le titre d’un livre de Daniel Arasse On n’y voit rien[3]. Alors certes on n’y voit rien parce que justement ce rien ce n’est pas rien. Il entre en résonnance avec l’être de chacun et il nous invite à dire le dire invisible.

L’analyse et la création ont ceci en commun de possibilité d’un surgissement du nouveau. Dans les deux cas aussi subsistera la perte, le trou, le manque-à-être, indissociable de la vérité d’un sujet qui aura choisi de se donner une explication, la seule, l’unique, la pas-toute. Dire impossible qu’il s’agisse du trajet d’une analyse, dire invisible pour l’artiste qui nous livre son œuvre.

Mais de cette vérité toujours mi-dîte, chacun pourra tenter une transmission : exposition pour les artistes, dispositif de la passe pour les analystes. Et puis il y a aussi des analystes qui s’autorisent artistes, parce que l’analyse aussi permet cela, l’émergence d’un désir nouveau et assumé. Cette production inédite et insolite, qu’elle résulte du trajet d’une analyse où d’un élan artistique, fait aussi lien social quand elle est exprimée. Son exposition, c’est la mise en demeure d’un dire nouveau. C’est offre de l’inédit, du neuf, de l’inconnu, de l’original, de l’innovant, du révolutionnaire, du moderne, ou du sensationnel qui forcément suscitera de nouveaux commentaires et fera qu’une œuvre « Cà parle » parce que çà nous parle.

C’est ainsi que s’inscrit un « au-delà » de l’œuvre par son ouverture au monde. Cette ouverture qui permet le détachement, la séparation, l’autonomie et qui de ce fait produit le dire invisible. L’artiste et l’analyste font tous deux le choix du partage. L’analyste donne à entendre ce que l’artiste donne à voir.

Alors merci à tous pour ce partage possible, non pas dans la satisfaction d’un savoir absolu mais dans la mise en abîme de la Chose perdue.

 

 

[1] VAN GOGH V., Lettres à son frère Théo, Grasset, Paris, 1990.
[2] LACAN, J., Le séminaire, Livre VII, L’Ethique de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, p.133.
[3] ARASSE D., On n’y voit rien, Denoël, paris, 2000.

 

Email de l’auteur : laurence.texier.pro@sfr.fr