Ex-position de l’invisible

Intervention prononcée lors de la journée pluridisciplinaire Art & psychanalyse organisée par les membres de l’EPFCL du pôle Ouest sur « Le Dire invisible » à Rennes le 23 avril 2016

L’histoire de l’art reflète l’évolution, voire la révolution de la pensée. Ainsi l’artiste a représenté successivement les récits mythologiques, religieux ou philosophiques qui tentaient d’expliquer les mystères du monde et de l’humanité. Or, si cette évolution idéologique est perceptible tout le long de l’histoire, on assiste au XXè siècle, à une prolifération de mouvements artistiques sans précédent. Chacun mettant en cause l’idéologie des autres, parfois violemment, parfois la tournant en dérision, parfois faisant état d’un scepticisme envers toute idéologie.

Le XXè siècle hérite en effet de la remise en cause de tous les fondements de la pensée des siècles précédents. La science galiléenne a détruit la notion d’un monde conçu comme un tout fini et bien ordonné, dans lequel l’ordre cosmique incarnait une hiérarchie de valeurs, d’harmonie et de perfection dont l’artiste s’inspirait. La transcendance de l’Être Suprême a été remise en question et on a proclamé la mort de Dieu. La découverte de l’inconscient a mis en doute le primat de la raison… Bref, toutes les croyances sont ébranlées et l’art du XXè et du XXIe siècle reflète bel et bien cet ébranlement. Souvent iconoclaste, l’art contemporain est tantôt collectiviste ou militant, tantôt centré sur les émotions et les réalisations subjectives, tantôt dénonciateur de tout subjectivisme ou de toute signification. Provocateur, satirique, cynique ou ludique, érotique ou onirique, il se veut parfois réaliste, parfois surréaliste. Figuratif ou abstrait, conceptualiste ou minimaliste, il revendique tantôt une jouissance libérée de tout carcan idéologique, tantôt il montre l’absurde, le non-sens, le trouble, le gouffre, la souffrance et l’angoisse.

Néanmoins, on ne saurait réduire l’ouvre d’art à l’idéologie qu’elle reflète ou dénonce. Si on reconnaît une œuvre au style de l’auteur c’est bien parce qu’elle reflète également quelque chose de la singularité de l’artiste. Singularité de ses goûts, de ses interrogations, de ses fictions, de ses rêves voire de ses cauchemars, mais aussi expression de ce que cette singularité a d’ineffable. On peut donc dire que l’œuvre d’art résulte du nouage entre le sens et le non-sens, entre le dicible et l’indicible, entre le visible et l’invisible.

C’est de ce nouage que je voudrais rendre compte, à partir de l’œuvre de Fabienne Verdier.

Cette peintre contemporaine rend compte de son expérience artistique dans un livre intitulé « Passagère du silence(1) ». Or, qu’est-ce que ce « silence » nous évoque sinon que quelque chose reste indicible dans ce que le peintre donne à voir. Son récit commence ainsi : « Son enfance, on la subit ; sa jeunesse on la décide. Je savais ce que je voulais : peindre ; et d’abord apprendre à peindre en maîtrisant une technique picturale. C’est ainsi que j’allais me retrouver en Chine ».

Fabienne Verdier décide en effet de se rendre en Chine pour y apprendre la calligraphie et la peinture chinoise. On est en 1983 et elle vient de finir ses études à l’École des beaux-arts de Toulouse, qui l’ont beaucoup déçue. A juste vingt deux ans, elle s’envole donc dans l’espoir de découvrir une civilisation orientale qu’elle qualifie de magnifique. Mais elle est vite déchantée, en atterrissant dans une République populaire, où la Révolution culturelle (1966), non seulement a détruit nombre d’œuvres de l’art traditionnel, mais a persécuté et mis au ban de la société tous les représentants de cet art taxé de décadent.

Inscrite à l’institut de beaux-arts de Chongquing dans la province de Sichuan, elle découvre et partage la vie spartiate pour ne pas dire misérable des étudiants. Et loin de pouvoir s’initier à la calligraphie et à la peinture chinoise classique, elle se confronte à l’enseignement d’un art réaliste-socialiste dicté par l’idéologie des dirigeants. Malgré la déception qu’elle éprouve et malgré cet univers qu’elle qualifie de carcéral et kafkaiën, elle tient bon et finit par trouver un vieux maître à la retraite qui accepte, non sans mal, de l’initier à l’art de la calligraphie. Néanmoins maître Huang Yuan lui pose une condition : « Si tu commences avec moi, c’est dix ans d’apprentissage ou rien du tout ». Elle accepte sans hésiter.

Aujourd’hui elle vit en France et ses coups de pinceau reflètent bel et bien les traits de la calligraphie, ainsi que la philosophie sous-jacente à la peinture chinoise : le plein et le vide, le yin et le yang, l’unité primordiale etc. Mais au delà de cette technique et de cette pensée philosophique, ces toiles expriment une singularité, un reflet de son intimité, qu’elle dit être le résultat d’une longue et pénible métamorphose.

Son vieux maître Huang Yuan lui a en effet appris, non seulement a donner du muscle ou de la légèreté à son trait de pinceau, mais à faire le vide en soi pour créer, à partir de ce vide, sa vision intérieure. « Débarrasse-toi de tes pensées et de tes croyances » lui conseillait-il. « Apprends les techniques, mais dépasse-les […] Il faut apprendre puis oublier ce qu’on a appris […] détruis les catégories esthétiques forgées par nos cultures […] le critère de l’art n’est pas le beau (notion subjective qui varie en suivant les lieux et les époques), mais la sincérité et l’authenticité ». « Débarrasse-toi des modes et des pressions des autres qui nous façonnent à notre insu […] fuis les conventions […] recherche sans cesse l’insolite, le singulier […] n’ai pas peur de paraître folle, excentrique ».

En fait, ce à quoi maître Huang Yuan l’invitait était à se débarrasser de tous ses conditionnements pour arriver à créer d’une manière naturelle et spontanée. Mais « il est très difficile de retrouver sa véritable nature » disait ce maître, cela nécessite un long cheminement. Pour y arriver, il faut laisser parler son cœur, plutôt que sa raison. Ainsi, il lui répétait sans cesse « Fuit le rationnel […] arrête de cogiter, d’essayer de comprendre, oublie et ton esprit comprendra subitement pour toi […] Il existe quelque chose qui nous dépasse et qu’un cerveau humain ne pourra jamais saisir complétement […] il faut accepter cette impuissance […] le mieux est de suivre les appels de son cœur».

Lorsqu’elle lui faisait part de ses lectures, maître Huang Yuan lui disait : « Méfie toi des livres […] Apprends notre pensée surtout par la pratique de la peinture […] nourrit-toi, non des livres, mais de la réalité qui t’entoure, de tes songes aussi […] Alors tu verras fonctionner la plus haute qualité de l’esprit qui est de produire des intuitions […] elles fuseront en grand nombre et il te suffira de transcrire cette poésie qui passe dans l’instant […] Le poème se situe entre la pensée et l’absence de pensée ».

Maître Huang Yuan lui apprenait aussi à contempler la nature avec un nouveau regard. Un jour en regardant des gros nuages qui roulaient au gré du vent, il lui dit : « Regarde, voici une bonne image du chaos. C’est ton point de départ. Suis le modèle cosmique pour donner vie à ta création, comme le Ciel, crée à partir du chaos […] Transmets l’esprit des choses […] L’esprit possède des possibilités d’excursions infinies, tu dois t’en servir pour voyager. Il établit des connexions tout seul ; il est de même nature que le nuage qui passe ; le stable n’existe pas pour lui, suis ses variations sans fin […] Apprends à te connaître et tu connaîtras le Ciel car il fait partie d’un même tout […] Ne cherche pas à éblouir, reste vraie […] le peintre doit s’oublier, se perdre, […] il doit retrouver cet état à mi-chemin entre le conscient et l’inconscient, où l’inconscient parle au conscient […] C’est l’attitude du cœur qui fait naître le paysage […] s’il est calme et sans entrave, il sera le miroir limpide de l’inspiration qui passe ; par la retenue et l’humilité il suggérera l’insaisissable ».

La métamorphose lente et difficile dont parle Fabienne Verdier résulte de l’assimilation de l’enseignement de son maître et notamment de la faculté de faire le vide en soi pour toucher à ce qu’elle appelle « une vérité intime, indicible ». Elle vit aujourd’hui à la campagne, retirée du monde comme une ermite. Si pour se concentrer, elle a besoin de cette solitude, qu’elle qualifie de joyeuse, elle dit que vingt ans de méditation lui ont été nécessaires pour saisir et pratiquer vraiment cette ascèse. Je la cite : « Les métamorphoses ont été violentes […] Combien de morts, de renaissances, m’a-t-il fallu traverser pour qu’une once de liberté, d’authenticité et de vérité apparaisse au bout de mon pinceau ».

Son pinceau est un énorme pinceau de deux mètres de long, qu’elle a installé dans son atelier, à l’aide de rails au plafond et qui lorsqu’il est chargé d’encre peut peser jusqu’à soixante kilos. Dans un entretien accordé à Charles Julliet et qui a fait l’objet d’un très beau livre intitulé Entre Ciel et terre(2), elle explique comment elle procède. Elle commence par préparer le fonds de ses énormes toiles qu’elle étend sur le sol. Aux techniques chinoises elle a ajouté les techniques de la peinture primitive flamande et italienne. « J’ai [dit-elle] une conscience aigüe, maladive, presque métaphysique de l’importance d’un fond. Je passe des semaines, des mois à fabriquer ces trames aléatoires […] Ces glacis, transparences et profondeur des vernis, [sont] autant de miroirs révélateurs de la vie du vide-plein […] Ces fonds crées je m’installe devant et après des heures de méditation, je trouve le chemin de l’inspiration et voyage enfin, le pinceau à la main, dans des infinis lointains ».

C’est en effet le pinceau de soixante kilos à la main, qu’elle se déplace sur ses grandes toiles, se laissant porter par son inspiration et dessinant d’un seul trait des formes et des mouvements. Et elle confie à Charles Julliet qu’elle éprouve une jouissance extrême en retrouvant son unité intime.

Si j’ai choisi de parler de Fabienne Verdier, c’est non seulement parce que j’aime beaucoup sa peinture, mais parce que la métamorphose dont elle parle évoque quelque peu le changement qui s’opère dans une psychanalyse.

Comme on a vu, la capacité à exprimer cette « vérité intime indicible » a nécessité un long cheminement, pendant lequel elle a essayé de se libérer de tous les semblants culturels et idéologiques qui la conditionnaient. Or, c’est bien ces semblants qu’une analyse met également en question pour arriver à cerner ce qu’il y a de plus intime, de plus singulier chez chaque sujet, c’est à dire pour pouvoir répondre à la question : que suis-je vraiment ?

Fabienne Verdier nous parle de sa souffrance lors de ses métamorphoses et de sa jouissance extrême lorsqu’elle retrouve son unité intime. Ceci nous rappelle également la souffrance qui amène un sujet à faire une demande d’analyse et la satisfaction qu’il éprouve en fin d’analyse, une fois qu’il a réussi à se débarrasser, non sans mal, de tous les semblants auxquels il s’identifiait.

La satisfaction de cette unité intime, Fabienne Verdier la retrouve en réalisant son unique trait de pinceau qui naît, dit-elle, d’un geste spontané, d’une pulsion première libérée de tout semblant et elle ajoute : « La libération survient à notre insu […] le pinceau libre s’en va sur la toile avec une absolue tranquillité […] et le trait advient juste, comme il faut […] Ce je ne sais quoi est intransmissible ; c’est le mystère de la peinture, une connaissance intuitive que je découvre dans l’acte même […] un sans-vouloir naturel […] ». Cette pulsion première semble faire référence au Souffle (à l’esprit) qui, selon la philosophie chinoise, anime toute création cosmique et picturale. On pourrait dire que cette conception philosophique, qui propose une certaine vision du monde, tente de donner sens à ce qui dans le souffle qui inspire l’artiste reste énigmatique, indicible : « ce je ne sais quoi d’intransmissible ».

Contrairement à la philosophie, la psychanalyse ne propose aucune vision du monde. En revanche, ce que l’expérience analytique nous apprend, c’est que ce qui constitue l’intimité du sujet, ce qu’il a de plus singulier, mais aussi de plus ineffable, c’est sa jouissance pulsionnelle. Et c’est bien la jouissance de cette pulsion première que l’analysant reconnaît en fin d’analyse. Autrement dit, une fois que le sujet s’est débarrassé de tous les semblants qui le conditionnaient, il peut répondre à la question que suis-je ? en disant : je suis cette modalité qui noue un désir impossible à dire tout et une jouissance singulière. C’est cette modalité de jouissance qui m’identifie et qui me confère mon style singulier, celui qui guide inconsciemment tous mes choix.

Or, comme je l’ai dit, c’est bien à cette singularité qu’on reconnaît le style d’un artiste. Si on reconnaît un Verdier ou un Picasso, c’est en effet parce que au delà de la diversité de leurs créations qui évoluent d’un tableau à l’autre, quelque chose de la singularité de leur jouissance se répété dans chaque tableau : le coup de pinceau, le choix des traits, des mouvements, des couleurs etc. Cette répétition qui est une sorte de signature du tableau se fait à l’insu de l’artiste. Au mieux, l’artiste y reconnaît quelque chose qui lui est intime, mais qui est indicible. Or, si de cette jouissance intime il ne peut rien en dire, il sait au moins en faire quelque chose de créatif et ce en quoi l’artiste précède l’analysant.

Lacan dit en effet qu’à la fin de l’analyse, le sujet sait y faire avec la jouissance qui lui est propre. Mais encore une fois, pour savoir y faire, il faut que l’analysant se soit débarrassé de tous les semblants, au nom desquels sa jouissance pulsionnelle était refoulée. Du fait du refoulement, cette jouissance n’apparaissait que sous une forme masquée dans son symptôme et toujours accompagnée de souffrance. Cette souffrance résultant en grande partie de la division entre l’idéal et la pulsion.

Lorsque Lacan dit qu’à la fin d’une analyse le sujet s’identifie à son symptôme, cela implique donc qu’il se reconnaît dans la jouissance que son symptôme met en scène. Non seulement il y reconnaît quelque chose de sa vérité intime, mais il sait en faire quelque chose de satisfaisant. Or c’est de ce savoir y faire que témoigne l’œuvre de l’artiste et ce en quoi il enseigne le psychanalyste. Ce savoir y faire n’a rien à voir avec la maîtrise d’une technique, ni avec un savoir appris dans les livres. C’est un savoir se laisser guider par ce qui, faute de mieux, on appelle l’inspiration (le souffle) et qui témoigne du goût intime de l’artiste, soit de la modalité de sa jouissance. Ainsi, on peut dire que la jouissance extrême dont parle Fabienne Verdier résulte du fait qu’elle reconnaît dans son trait quelque chose qui reflète l’authenticité de son identité la plus intime.

Bien entendu, elle ne parle pas d’identité mais d’unité. Celle-ci semble se référer également à la philosophie chinoise. Mais cette unité qu’elle retrouve avec son unique trait de pinceau, n’est pas sans nous rappeler le « Trait Unaire » dont parle Lacan, ou encore sa formule « Il y a de l’Un » qu’il a développé par la suite. Ce Trait Unaire reflète la jouissance unique et singulière à chaque sujet. On pourrait ainsi dire que l’artiste réussit à faire de ce Trait Unaire originel, un trait original.

Évidement, tous les artistes ne procèdent pas à l’ascèse dont nous parle Fabienne Verdier. Mais toute œuvre d’art reflète, à l’insu du peintre, cette unité intime qui signe un style unique, un regard insolite. Le regard insolite du peintre laisse toujours transparaître un grain de folie. « N’aie pas peur de paraître folle, excentrique », insistait maître Huang Yuan. Ce grain de folie peut apparaître à travers des représentations oniriques ou cauchemardesques, mais ce grain de folie tient surtout au fait que la singularité se moque des conventions et du bon sens. Cette singularité ancrée dans la jouissance pulsionnelle est insolite, voire insolente, rebelle à tout sens. Elle reste énigmatique et ne se laisse jamais apprivoiser totalement. Et c’est même cette impossibilité à la cerner totalement qui peut désespérer certains artistes et les empêcher d’éprouver la satisfaction dont parle Fabienne Verdier.

Je pense par exemple à cet autre grand peintre qu’est Nicolas de Staël et dont Guy Dumur dit, dans le livre(3) qu’il lui consacre, qu’il n’a jamais connu ni le repos de l’âme ni du corps. Si ce peintre que Guy Dumur qualifie d’ontologique n’a pas connu le repos c’est parce qu’il oscillait sans cesse entre le besoin d’exprimer quelque chose de son intimité qui s’imposait à lui et le besoin désespéré de comprendre ce qui ne cessait de lui échapper.

Ainsi, à l’instar de Fabienne Verdier, il pouvait parfois dire « C’est avec le besoin intérieur, intime qu’il faut dessiner ». « Il faut […] détruire les encyclopédies et faire des gestes simples, bons […] Ce qui importe c’est que ce soit juste… L’accès à ce juste, plus il est différent d’un tableau à l’autre, plus le chemin qui y mène paraît absurde, plus cela m’intéresse de le parcourir ».

Mais en même temps qu’il se laissait guider par ce qui lui paraissait absurde, il en souffrait. « Il m’est très difficile de saisir la vérité [disait-il] […] mais je crois que lorsque tous les éléments sont là, choix déterminé, attitude passive, volonté d’organiser ordre et chaos […] Tout se passe de telle façon qu’on a l’impression de n’avoir même pas son mot à dire ». « Je ne maîtrise pas » se plaignait-il. Ce dont il semblait souffrir c’est donc du « mystère de la peinture » dont parle Fabienne Verdier.

Cela l’amenait à essayer de comprendre désespérément la logique de ses tableaux. Mais il pouvait dire également : « dès que je sens une logique trop logique cela m’énerve et vais naturellement à l’illogisme […] je crois au hasard et non à la dimension exacte ». De même, il pouvait tantôt dire qu’il aimait le vertige qu’il ressentait lorsqu’il peignait, tantôt en désespérer. Je le cite : « Lorsque je me rue sur une grande toile […] lorsqu’elle devient bonne, je sens toujours atrocement une trop grande part de hasard, comme un vertige […] et cela me met dans des états lamentables de découragement ».

Comme on sait, à 41 ans, Nicolas de Staël s’est jeté par la fenêtre de son atelier, mettant ainsi fin à ses jours dans une chute vertigineuse.

Quelques jours avant, il avait écrit à son galeriste et ami Jaques Dubourg : « Je n’ai pas la force d’achever mes tableaux » et c’est également à cet ami qu’il avait confié : « Ma peinture je sais ce qu’elle est sous ses apparences, sa violence, ses perpétuels jeux de force, c’est une chose fragile dans le sens du bon, du sublime, c’est fragile comme l’amour ».

Cette comparaison est en effet très parlante, puisque ce qui pousse un sujet à investir un tableau (en tant qu’artiste ou en tant que spectateur) est aussi fragile et vertigineux que ce qui le pousse à investir un partenaire amoureux. On peut donner beaucoup d’interprétations à ce qui nous attire dans une toile ou chez un partenaire : « je l’aime parce que ceci ou cela », mais au delà de ces interprétations, il y a toujours un « je ne sais quoi », qui reste indicible. Et pourtant on sait que c’est ce partenaire, ou cette toile qu’on aime. Lacan dit qu’on choisit un partenaire parce qu’il consonne avec notre inconscient, sous-entendu avec notre jouissance inconsciente. On pourrait dire la même chose par rapport à l’œuvre d’art. Au delà de ce qu’elle montre, elle ex-pose quelque chose d’aussi indicible qu’invisible et qui nous touche au plus profond de notre intimité.

Pour conclure, si l’expérience artistique et l’expérience analytique ont chacune leur spécificité et s’il n’est donc pas question de les assimiler, elles ont néanmoins en commun la prise en compte de cette jouissance intime qui définit la singularité du sujet.

(1) VERDIER F., Passagère du silence, Albin Michel, 2003.
(2) VERDIER F., Entre ciel et terre, éditions Albin Miche, 2007.
(3) DUMUR G., Nicolas de Staël – le combat avec l’ange, Edition Parenthèses 2009.

Email de l’auteur : r.guitart@wanadoo.fr