Le symptôme dé-livre*

C’est sous l’angle de la notion du symptôme en psychanalyse que je décide d’écrire quelque chose de ma lecture, en lien également avec la thématique de la soirée. Parler de psychanalyse dans une librairie, n’est pas chose habituelle. Aussi, j’ai intitulé ce texte : « le symptôme dé-livre ».

A la question : qu’est-ce qu’un symptôme ? Je répondrais dans un premier temps par une formule toute simple : c’est ce dont souffre l’être humain. Des pensées, des obsessions, des addictions, des séparations, des dépendances, des peurs, des symptômes qui se passent dans le corps… bref quelque chose ne va pas. Le sujet qui s’adresse à la psychanalyse souhaite guérir de ses dérangements.

Luis Izcovich place au cœur de son ouvrage le trajet de la notion de symptôme en psychanalyse. Il est à noter que Freud a fait évoluer sa définition du symptôme allant « (d’) une déviation de la norme qu’il s’agit de rectifier (…) jusqu’à sa conception finale (…) d’une satisfaction substitutive, voire (…) d’un dédommagement »[2].

Premier point, le symptôme se déchiffre, se traduit : « parole gelée »[3], « chapitre censuré de mon histoire »[4] … telles sont certaines des formules de Lacan que l’auteur cite dans son livre. Ce qui fait la spécificité de la psychanalyse est cette notion fondamentale d’un savoir sur le symptôme. Le symptôme dit quelque chose, un quelque chose de l’inconscient qui peut se traduire lors d’une analyse.

Que dit le symptôme ? Pour y répondre, je repars de la définition du traumatisme. Luis Izcovich, citant le travail de Lacan lors de la Conférence à Genève sur le symptôme, spécifie deux conditions au trauma. Je le cite : « la première (condition) c’est l’irruption d’une jouissance inconnue pour le sujet. La deuxième (…) c’est qu’il est nécessaire qu’il y ait la constitution d’une énigme portant sur le désir de l’Autre »[5]. Deux faces au traumatisme : irruption de jouissance et énigme portant sur le désir de l’Autre. Ce que dit et à quoi répond le symptôme, c’est à l’énigme du désir de l’Autre en la recouvrant, cette énigme, d’une hystoire. Le symptôme, sous son versant suppléance, raconte une histoire, c’est ce qui pourra se déchiffrer lors d’une analyse.

« Mais il va falloir aussi, pour un sujet, que s’opère un remaniement de l’irruption de jouissance traumatique, ce qui est possible uniquement par la fonction du symptôme »[6], précise Luis Izcovich. Par la cure, il y a traduction certes, et ce, jusqu’au point d’intraduisible. Reconnaître le point d’intraduisible, c’est mettre fin au sans fin du sens, « que la fuite du sens ne se transforme pas en demande d’interprétation à l’infini »[7], souligne l’auteur. Il ajoute « c’est donc une responsabilité de l’analyste d’inclure ce qui fait limite. Et la seule limite valable, du point de vue analytique, est posée par ce qui du symptôme s’écrit »[8]. La jouissance du symptôme est ce point de réel. Ce point d’intraduisible est ce qui ne cesse pas de s’écrire du symptôme. Ce qui ne cesse pas de s’écrire est la trace laissée par le langage sur le corps. C’est là que je situe ce qu’est le lieu et la fonction de la lettre, « (le) bord du trou dans le savoir, voilà-t-il pas ce qu’elle dessine »[9], selon la citation de Lacan dans Lituraterre. Ce point de réel est le lieu de l’angoisse, là où se rencontre quelque chose de ses modalités de jouissance propre. Luis Izcovich donne une possible « orientation générale de la cure analytique, à savoir de passer de la recherche de signification à la lettre, en tant qu’elle véhicule la jouissance »[10]. On passe donc de la jouissance du sens à déchiffrer à une jouissance de la lettre par quoi le sujet peut se ré-écrire : se ré-écrire par son symptôme réduit à sa lettre. Si « devenir quelqu’un »[11] est la visée d’une cure analytique, en faire la preuve se ferait donc par le passage avec le nœud-cesse-erre du symptôme : le nœud-se-serre/sert.

Dans son ouvrage, Luis Izcovich fait une place centrale à cette jouissance de la lettre du symptôme, une place qui peut ouvrir à une certaine écriture. C’est ainsi que j’ai lu « Les marques d’une psychanalyse » comme celles d’une trajectoire qui va du lecteur à la lettre qui ré-écrit un nouveau savoir-faire avec l’existence, où la contingence prend ses marques en quelque sorte. Pour conclure, je termine sur cette citation de l’auteur : « C’est là la véritable dimension du symptôme nécessaire. Il est nécessaire au savoir-faire avec la contingence et cela est rendu possible par le passage, opéré par Lacan, de la psychanalyse comme pratique de lecture, à la psychanalyse comme pratique d’écriture »[12].

 

 

* Ce texte est issu d’un travail de lecture de l’ouvrage de Luis Izcovich « Les marques d’une psychanalyse », lecture articulée à la question : « Spécificité et efficace de la psychanalyse ? ». L’intervention s’est déroulée à la librairie Richer à Angers, le 9 octobre 2020, dans le cadre d’une activité du pôle 9 Ouest. Ce texte est publié dans la revue Le Mensuel, n°148, p.66-68.

[2]IZCOVICH L., Les marques d’une psychanalyse, Paris, Edition Stilus, 2015, p.73.
[3] Ibid., p.110.
[4] Ibid., p.259.
[5] Ibid., p.74.
[6] Ibid., p.75.
[7] Ibid., p.285.
[8] Ibid., p.285.
[9] LACAN J., Lituraterre, Staferla, 1971, p.5.
[10] IZCOVICH L., Les marques d’une psychanalyseop.cit., p.264.
[11] Ibid., p.xii.
[12] Ibid., p.85.