Quel discours ?

Texte prononcé lors de la matinée de travail intitulée Les entretiens préliminaires, organisée par le Pôle 9 Ouest le 30 juin 2018

 

Ma question de départ dans ce « cartel élargi » était la suivante : qu’est-ce qu’une psychologue clinicienne pourrait bien dire, de cette place-là, concernant les « entretiens dits préliminaires » ? En effet, ces derniers, m’évoque à leur suite, le signifiant de « cure analytique ». Or, les termes de « psychologue » et de « cure analytique » résonnent ensemble comme impossible. Autrement dit, les « entretiens préliminaires » concernent-il le psychologue?

A suivre Colette Soler, la réponse est non. Les entretiens préliminaires sont liés à la cure analytique : « Les psychothérapies se définissent, entre autre chose, de ne pas avoir d’entrée c’est-à-dire de commencer dès la première rencontre avec le psychothérapeute[1] ».

Pour tenter de comprendre cette position, je vous propose d’interroger la fonction du psychologue et la fonction de l’analyste à partir de la logique des discours.

Lacan on a conceptualisé quatre, le discours analytique, le discours hystérique, le discours universitaire et le discours du maître. Ces discours étant ce qui permet de faire lien social. Donc pour faire lien, le sujet doit s’inscrire dans un de ses discours. Je laisse de côté le discours capitaliste qui a entre autre, comme spécificité, de ne pas faire lien social.

Les entretiens préliminaires seraient donc liés au discours analytique et notamment à l’entrée dans ce discours, conditionnée par plusieurs paramètres.

« Le discours que je dis analytique, dit Lacan, c’est le lien social déterminé par la pratique d’une analyse[2] ».

Mais pour le psychologue, dans quel discours s’inscrit-il ? Et dans ce discours quelle place occupe-t-il ?

Lacan, donne une indication dans « Télévision ». La question lui est posée de ce que fait l’analyste quand les professionnels de la santé mentale, dont les psychologues, se « coltinent toute la misère du monde[3] ».

Voici une partie de sa réponse.

« Il est certain que se coltiner la misère, comme vous dites, c’est entrer dans le discours qui la conditionne, ne serait-ce qu’au titre d’y protester….Au reste les psychos- quels qu’ils soient, qui s’emploient à votre supposé coltinage, n’ont pas à protester, mais à collaborer. Qu’ils le sachent ou pas, c’est ce qu’ils font[4] ». Alors, quel discours pour le psychologue ?

Si j’insiste autant sur les discours, c’est que j’ai en tête une des définitions de Lacan concernant la débilité mentale, où le sujet flotte entre deux discours.

« J’appelle débilité mentale, dit Lacan, le fait qu’un être, un être parlant, ne soit pas solidement installé dans un discours. C’est ce qui fait le prix du débile. Il n’y a aucune autre définition qu’on puisse lui donner, sinon d’être ce qu’on appelle un peu à côté de la plaque, c’est-à-dire qu’entre deux discours, il flotte. Pour être solidement installé comme sujet, il faut s’en tenir à un discours ou bien savoir ce qu’on fait. Mais ce n’est pas parce qu’on est en marge qu’on sait ce qu’on dit…[5] ».

[Au premier abord, cette façon de parler de Lacan, peut paraître abrupte, je précise qu’il fait référence à la débilité à plusieurs endroits de son enseignement et que lui-même ne s’en exceptait pas. Le concept de « débilité » chez Lacan est intimement lié, me semble-t-il, au rapport au savoir et concerne tout un chacun].

Et, en tant que psychologue clinicienne qui tente de s’orienter du réel, de la structure et du symptôme, je suis interpellée par ce flottement possible entre deux discours.

Alors, revenons au discours analytique. Je rappelle que nous partons du postulat que les entretiens préliminaires sont ce qui précède l’entrée dans le discours analytique.

Colette Soler dans son texte « le temps long » souligne qu’il ne suffit pas de parler « à quelqu’un qui se dit analyste »[6] pour qu’il y ait une entrée dans le discours analytique, mais « il y faut une double condition de parole »[7] : du côté du demandeur « le transfert, soit le postulat du sujet supposé savoir »[8] et côté analyste, « un partenaire….qui a la fois supporte le transfert, à tous les sens du terme, et qui le met en question »[9].

Quelles sont donc les conditions qui permettent à l’analyste de tenir sa fonction ?

Que se passe-t-il du côté de l’analyste ?

Est-ce qu’une analyse menée à son point de finitude est une condition sine qua non, pour que le discours analytique opère ?

Colette Soler, toujours dans son texte « Le temps long », pose que « la condition minimale est de partager le postulat transférentiel »[10]. Je vous la cite, longuement, mais cette partie du texte m’a semblé précieuse :

« Et n’est-ce pas ainsi que tous les premiers post-freudiens sont entrés dans la carrière, avec la caution de Freud, qui jusqu’à la fin affirme que l’analyse de l’analyste est normalement la plus courte, puisque pour lui, il suffit que le déchiffrage des formations de son inconscient, de rêve à lapsus et symptôme, lui ait permis de croire à l’inconscient. Cette formule freudienne, « croire à l’inconscient », dit la même chose que le postulat du sujet supposé savoir, formule lacanienne. Dans les deux cas il y a l’idée d’un inconscient savoir qui parle par rébus, une sorte d’autre sujet que celui de la conscience. Et on a bien en effet le témoignage de ces premiers analystes qui, dans leurs interprétations, pour faire parler l’inconscient, pensaient tout autant et parfois même à la place de l’analysant associant librement. Je note que ça n’a pas empêché l’expérience de se poursuivre, point essentiel. En outre, pour revenir au présent, n’est-ce pas ainsi encore que la plupart des dits analystes y entrent dans la carrière, non pas en croyant, ce n’est pas le terme de Lacan, mais en sachant qu’un savoir travaille jusqu’au sens dans l’espace du transfert. Ne faut- il pas en conclure qu’on peut se laisser investir par le transfert, voire même se faire cause du transfert, induire donc l’hystérisation de l’analysant potentiel, en occupant la place du semblant, non comme l’objet a mais comme S barré, $ ? A défaut de cette hypothèse, l’histoire du mouvement analytique de ses débuts à aujourd’hui, resterait illisible»[11].

Donc quel discours possible pour le clinicien lui-même analysant ? Si il y va avec sa division, il semblerait qu’il peut quand même permettre que le discours analytique opère a minima, en se laissant investir par le transfert.

Entre la fonction du psychologue, qui entre dans le discours qui conditionne la misère humaine et qui collabore, et la fonction de l’analyste, une troisième voie serait-elle donc possible ?

Est-ce que les entretiens préliminaires concernent les cliniciens eux même analysants ?

Je laisse la question ouverte.

 

[1] SOLER C., « La fin, les fins », L’analyse : ses fins, ses suites, Paris, Champ lacanien, 2012, p.21-29.
[2] LACAN J, « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.518.
[3] Ibid., p.517.
[4] Ibidem.
[5] LACAN J., Le séminaire Livre XIX,  …ou pire, leçon du 15 mars 1972, version numérique en ligne staferla.
[6] SOLER C., « Le temps long », Wunsch 11, Bulletin de l’École de Psychanalyse des Forums du Champ lacanien 2011, p.3-6.
[7] Ibidem.
[8] Ibidem.
[9] Ibidem.
[10] Ibidem.
[11] Ibidem.